LE TEMPLE DU SAVOIR

LE TEMPLE DU SAVOIR

LA LITTERATURE: comment et pourquoi enseigner la littérature?

Pour une didactique de la stylistique
en classe de fran¸cais langue ´etrang`ere
Adeline DESBOIS
M´emoire de master 1 de Fran¸cais langue ´etrang`ere,
pr´esent´e en septembre 2009 `a l’universit´e Stendhal-Grenoble 3
Je remercie Patrice Terrone pour les pr´ecieux conseils qu’il m’a donn´es.
1
Sommaire
Introduction 3
1 Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 8
1.1 Enseigner la litt´erature : oui, mais pourquoi ? . . . . . . . . . . . . . . . . 8
Apprendre la langue par la litt´erature . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Litt´erature et interculturalit´e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Litt´erature et universalit´e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Une science de la litt´erature . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
Lire pour le plaisir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
1.2 Pour une didactique de la stylistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
L’h´eritage de Jean Peytard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
La stylistique au fondement de l’´etude de la langue . . . . . . . . . 20
Stylistique et FLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
2 Approches m´ethodologiques du texte litt´eraire en classe de langue 26
2.1 Enseigner la litt´erature : oui, mais `a quel public d’apprenants ? . . . . . . . 26
2.2 Les choix m´ethodologiques d’une didactique de la stylistique . . . . . . . . 27
Le public d’apprenants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Choisir un texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
M´ethode d’exploitation stylistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
3 S´equences p´edagogiques 35
S´equence 1 : Page d’´ecriture de Jacques Pr´evert (niveau 2) . . . . . . . . . . . . 35
S´equence 2 : Moderato Cantabile de Marguerite Duras (niveau 2) . . . . . . . . 40
S´equence 3 : Le Horla de Maupassant (niveau 3) . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
S´equence 4 : La Tour Eiffel (niveau 3) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
Conclusion 55
Annexes 57
Bibliographie 69
2
Introduction
La place de la litt´erature au sein de l’enseignement du fran¸cais langue ´etrang`ere (FLE)
a connu une tr`es s´erieuse ´evolution au cours du vingti`eme si`ecle. Dans son article de
synth`ese sur le rˆole de la litt´erature dans l’enseignement des langues ´etrang`eres aux Etats-
Unis, Amos Paran r´esume cette ´evolution en citant Claire et Olivier Kramsch qui ont mis
en relief « the movement from literature as part of an elitist study of foreign languages
at the beginning of the 20th century to a view of literature as an authentic source of
language at the end of the century »1 (Paran, 2008, p.468)2. Il s’agit l`a de l’´evolution de
l’enseignement du FLE aux Etats-Unis, mais cette ´evolution refl`ete en grande partie celle
qui a eu lieu en France quand la m´ethodologie de la grammaire-traduction qui reposait en
grande partie sur la lecture de textes litt´eraires a ´et´e supplant´ee par la m´ethodologie actionnelle
accordant une faible place `a la litt´erature. Entre ces deux extrˆemes, la litt´erature
a ´et´e consid´er´ee comme l’aboutissement de l’apprentissage de la langue et faisait l’objet
du niveau 4 des manuels de FLE. La langue litt´eraire ´etant l’incarnation de la perfection
linguistique, sa maˆıtrise ´etait consid´er´ee comme l’objectif ultime auxquels devaient tendre
les apprenants. Mais aujourd’hui, le niveau 4 a majoritairement disparu des manuels, en
mˆeme temps que la d´esacralisation de la litt´erature l’a mise sur un pied d’´egalit´e avec
les chansons et articles de presse. La litt´erature n’est plus qu’un document authentique
comme les autres, qui n’aurait donc pas plus d’int´erˆet linguistique que les autres3. Selon
Amor S´eoud, c’est paradoxalement le d´eveloppement mˆeme d’une didactique de la langue
qui a entraˆın´e cette mise `a l’´ecart de la litt´erature en FLE. En effet l’importance croissante
de l’oral dans l’apprentissage a mis `a l’´ecart la litt´erature, domaine de l’´ecrit par excel-
1« l’´evolution de la litt´erature comme ´el´ement d’une ´etude ´elitiste des langues ´etrang`eres au d´ebut du
XXe si`ecle `a une vision de la litt´erature comme source linguistique authentique `a la fin du si`ecle », nous
traduisons.
2Les deux auteurs ont en effet distingu´e six p´eriodes pour l’enseignement des langues ´etrang`eres, et
tout particuli`erement du fran¸cais (2000) : les ann´ees 1910 o`u l’enseignement du fran¸cais devait d´evelopper
chez les apprenants la capacit´e de raisonner avec clart´e et logique, mais aussi la sensibilit´e raffin´ee des
Fran¸cais (p.555) ; les ann´ees 1920 o`u la litt´erature ´etait le support d’une ´edification morale (p.556) ; les
ann´ees 1930 et 1940 o`u la litt´erature a ´et´e lue avant tout comme le miroir de la soci´et´e dans laquelle elle
prenait source (p.561) ; les ann´ees 1950 o`u la litt´erature est devenue `a la fois support linguistique dans le
cadre des m´ethodes audio-orales et l’objectif de tout apprentissage (p.564) ; les ann´ees 1960 et 1970 qui
ont vu la s´eparation de l’enseignement de la langue et de celle de la litt´erature (p.565) et les ann´ees 1980
et 1990 o`u la litt´erature est avant tout abord´ee comme un « document authentique » (p.567).
3Nous renvoyons `a Mireille Naturel, Pour la litt´erature. De l’extrait `a l’oeuvre, 1995, p.17 sq., pour les
d´etails de cette ´evolution.
3
Introduction 4
lence, tandis que la stylistique de l’´ecart a remis en cause le rˆole de la litt´erature comme
mod`ele, la langue litt´eraire apparaissant comme trop ´eloign´ee de la langue usuelle des
natifs (1997, p.26). Pire mˆeme, le texte litt´eraire apparaˆıt comme impropre `a la communication
(n’a-t-on pas pu affirmer qu’´ecrire ´etait un verbe intransitif ?4), et donc comme
inadapt´e `a l’enseignement du FLE, `a une ´epoque o`u se d´eveloppent les m´ethodes communicatives.
On sait que le texte litt´eraire instaure une communication tr`es sp´ecifique,
diff´er´ee, puisque le moment de l’´ecriture et celui de la lecture ne concordent pas dans le
temps. Or, des trois mod`eles d´ecrits par M-C Albert et M. Souchon pour envisager la relation
du lecteur au texte, c’est le premier, centr´e sur l’´emetteur, qui domine aujourd’hui
dans l’enseignement de la litt´erature : la communication litt´eraire est comprise comme
un dialogue avec les esprits les plus imminents du temps et instaure donc une relation
d’initiateur `a initi´es (2000, p.34). D`es lors, le texte litt´eraire rend les apprenants passifs,
r´ecepteurs d’un message, `a l’inverse des objectifs que se sont donn´es les d´efenseurs des
m´ethodes communicatives et actionnelles. La litt´erature n’est donc plus enseign´ee pour
elle-mˆeme, mais comme illustration d’un th`eme ou d’un fait culturel, afin de pouvoir
r´etablir un mod`ele communicatif `a son sujet.
Ainsi, dans les manuels actuels, on constate que la portion d´evolue `a la litt´erature
est extrˆemement congrue. La litt´erature est tout `a fait absente des niveaux 1 des manuels,
parfois aussi des niveaux 2, `a l’exception de Reflets (2005), de Tout va bien (2007)
et d’un manuel tr`es r´ecent publi´e par McGraw-Hill Pause-Caf´e (2009). Quant aux auteurs
de Forum (2000), ils n’introduisent la litt´erature qu’au niveau 3. Mais surtout,
c’est la mani`ere dont les textes litt´eraires sont introduits et exploit´es qui montre la faible
importance d´evolue `a la litt´erature. Dans Forum, les textes litt´eraires sont ins´er´es dans
des dossiers th´ematiques dont ils visent `a illustrer un point de vue. Ainsi, `a l’unit´e 6,
un po`eme de Baudelaire vient illustrer le th`eme du goˆut dans la rubrique « L’avis du
po`ete », et un extrait de Madame Bovary prend place sur une double page consacr´ee `a la
femme. Dans Reflets, la litt´erature n’est pas instrumentalis´ee, mais elle partage la page de
conclusion des dossiers avec des projets et des bilans des connaissances acquises. Chacun
de ces trois ´el´ements est pr´esent pour un tiers dans le manuel, et la litt´erature n’occupe
donc la fin de quatre dossiers sur les douze uniquement. « Litt´erature » s’entend d’ailleurs
ici au sens bien large, puisqu’une chanson de Jacques Brel occupe une des quatre pages
« Litt´erature » du manuel (dossier 10). Seul Pause-Caf´e propose une page « Lecture » par
dossier. Celle-ci est introduite juste apr`es le « Coin-Culture », mais les textes ont un lien
avec le th`eme du dossier plus qu’avec le th`eme plus pr´ecis des pages « Coin-Culture ».
Les textes litt´eraires semblent donc avant tout choisis pour leur int´erˆet intrins`eque et
l’int´erˆet qu’ils peuvent susciter chez les apprenants. Ils ont aussi la particularit´e d’ˆetre
4Voir l’article « Ecrire, verbe intransitif ? » de R. Barthes, publi´e dans Le bruissement de la langue.
Essais critiques IV, 1984, Paris : Seuil
Introduction 5
longs et de faire l’objet d’une s´equence d’activit´es relativement longue elle aussi. Une
seconde exception, notable, dans ce panorama est la parution en 2004-2005 d’une collection
de manuels consacr´es `a la litt´erature d’expression fran¸caise, Litt´erature progressive
du fran¸cais chez Cl´e international. Ces trois manuels (niveaux d´ebutant, interm´ediaire et
avanc´e) proposent chacun une centaine de court extraits d’oeuvres appartenant au canon
de la litt´erature fran¸caise. Chaque extrait est accompagn´e d’une s´erie de questions d’exploitation.
Cela annonce-t-il un renouveau de la litt´erature en classe de langue ?
Le Cadre Europ´een Commun de R´ef´erence pour les Langues r´edig´e par la division des
politiques linguistiques du Conseil de l’Europe (2000) ne laisse pas de cˆot´e la litt´erature,
mˆeme s’il ne l’aborde pas de mani`ere frontale. La litt´erature n’est en effet directement
mentionn´ee qu’`a propos du niveau C2, dans la cat´egorie « Compr´ehension g´en´erale de
l’´ecrit » : « Peut comprendre et interpr´eter de fa¸con critique presque toute forme d’´ecrit,
y compris des textes (litt´eraires ou non) abstraits et structurellement complexes (...) » ;
et dans la cat´egorie « Essais et rapports » : « Peut (...) donner une appr´eciation critique
sur le manuscrit d’une oeuvre litt´eraire de mani`ere limpide et fluide » (CECR : 4.4.2.2.
Nous soulignons.). Toutefois, elle est ´egalement pr´esente par l’interm´ediaire des genres
litt´eraires, qui apparaissent comme autant de mod`eles ´ecrits que les apprenants doivent
savoir maˆıtriser `a la fin de leur apprentissage. Les romans et revues litt´eraires sont ainsi
r´epertori´es dans la cat´egorie « Genres et types de texte » (CECR : 4.6.2) ; et le CECR
inclut une cat´egorie `a part enti`ere intitul´ee « Ecriture cr´eative », qui peut s’apparenter `a
un apprentissage de la production litt´eraire ´ecrite (CECR : 4.4.1.2).
Mais le contexte g´en´eral ne semble gu`ere plus favorable `a l’´etude de la litt´erature,
suite `a la crise de la litt´erature qui a eu lieu en France dans les ann´ees 1960 et 1970. On
se souvient de l’interrogation de Dubrovsky lors du colloque de Cerisy en 1969 qui avait
pour th`eme l’enseignement de la litt´erature : « Is literature still relevant ? » avant d’ajouter
: « La question n’est plus “Qu’est-ce que la litt´erature ?”5, mais “A quoi bon ?” »
(1971, p.12-14) soulignant par l`a le manque de l´egitimit´e dont souffre la litt´erature `a cette
´epoque, et dont elle ne s’est peut-ˆetre pas tout `a fait remise6. Dans un monde domin´e
par la science et l’objectivit´e, la litt´erature apparaˆıt comme un domaine fragilis´e. Les
« litt´eraires », persuad´es au fond d’eux-mˆemes de son utilit´e intrins`eque, lui cherchent
pourtant une l´egitimit´e officielle, mais il n’est pas rare d’entendre dire que la litt´erature
ne sert `a rien. Comme pour confirmer cette hypoth`ese, les apprenants eux-mˆemes manifestent
un goˆut plus marqu´e pour les textes `a dimension culturelle, au sens large. Ainsi,
5Dubrovsky reprenait ici la c´el`ebre question de Sartre. Voir Sartre J-P. (1948). Qu’est-ce que la
litt´erature ?, Paris : Gallimard.
6Nous ne d´eveloppons pas ici les causes de cette crise de la litt´erature, et renvoyons `a la synth`ese qu’en
a faite Amor S´eoud, Pour une didactique de la litt´erature, 1997, chap.1.
Introduction 6
la d´esaffection, `a l’universit´e, des fili`eres litt´eraires au profit des sciences humaines se
ressentirait sur l’enseignement du FLE. C’´etait le cas `a Smith College, universit´e du Massachusetts
(Etats-Unis) o`u j’ai enseign´e durant l’ann´ee scolaire 2008-2009. Lors d’une
enquˆete r´ealis´ee au cours de l’ann´ee, les ´etudiants du d´epartement de fran¸cais ont indiqu´e
qu’ils voulaient pouvoir suivre moins de cours de litt´erature et plus de cours centr´es sur
la culture fran¸caise7.
Enfin, cette mise `a l’´ecart de la litt´erature est aussi sensible dans la relative pauvret´e
quantitative des travaux critiques8, quand on pense au contraire `a la multiplication des
travaux sur les technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement
(TICE) par exemple. La plupart des ouvrages sur la litt´erature sont parus entre 1971 et
1991, p´eriode `a laquelle ont aussi eu lieu les deux grands colloques sur l’enseignement de
la litt´erature, celui organis´e par G. Dubrovsky et T. Todorov au centre culturel de Cerisy
en 1969 et intitul´e L’Enseignement de la litt´erature (actes parus en 1971 chez Plon) ; et
celui organis´e organis´e par G. Mansuy de la Facult´e des Lettres de Strasbourg en 1975,
intitul´e L’enseignement de la litt´erature. Crise et perspectives. (actes parus en 1977 chez
Nathan), ainsi qu’un num´ero sp´ecial du Fran¸cais dans le monde, recherches et application
consacr´e `a l’enseignement de la litt´erature (num´ero sp´ecial de 1988). Il faut relever toutefois
que les deux colloques traitaient de l’enseignement de la litt´erature en g´en´eral, et non
pas dans le contexte sp´ecifique de l’enseignement d’une langue ´etrang`ere, en l’occurrence
le fran¸cais. Rares sont d’ailleurs les ouvrages qui prennent v´eritablement en compte ce
contexte particulier de l’enseignement de la litt´erature. C’est le cas de M-C. Albert et M.
Souchon dans Les Textes litt´eraires en classe de langue, 2000. En revanche, l’initiation `a la
lecture propos´ee par Mireille Naturel, dans Pour la litt´erature. De l’extrait `a l’oeuvre, 1995,
pourrait tout aussi bien correspondre `a de jeunes coll´egiens fran¸cais. La question de savoir
en quoi l’enseignement de la litt´erature en contexte de fran¸cais langue maternelle (FLM)
et de fran¸cais langue ´etrang`ere diff`erent est mˆeme parfois d´elib´er´ement occult´ee, comme
par Amor S´eoud (1997), qui ne fait qu’indiquer ponctuellement le domaine d’application
(FLM ou FLE) de certaines id´ees. Ce constat doit toutefois ˆetre nuanc´e par la profusion
des sites internet consacr´es `a l’enseignement du FLE qui proposent des r´eflexions ou des
activit´es sur le th`eme de la litt´erature. Ainsi le site de Franc Parler a mis en ligne un
dossier entier sur le th`eme de la litt´erature9. On y trouve une liste des auteurs et textes
7Le d´epartement de French Studies de Smith College propose en effet un certain nombre de cours
exclusivement centr´es sur la litt´erature, dont plusieurs sont obligatoires pour des ´etudiants choisissant de
se sp´ecialiser en fran¸cais. On peut trouver la liste des cours enseign´es sur le site internet de l’universit´e :
http ://www.smith.edu/french/courses.html .
8Ce n’est pas le cas dans d’autre pays, comme les Etats-Unis o`u de nombreux ouvrages ont ´et´e publi´es
ces derni`eres ann´ees sur l’enseignement de la litt´erature en contexte de langue maternelle ou d’anglais
langue ´etrang`ere (EFL). Voir Amos Paran (2000) et (2008).
9Consulter le site de Franc-Parler : http ://www.francparler.org/dossiers/litterature.htm .
Introduction 7
les plus enseign´es en classe de FLE, des articles sur des manuels, des liens vers des dossiers
p´edagogiques en ligne. EduFLE10 et Le Plaisir D’Apprendre11 comportent ´egalement
une rubrique Didactique de l’´ecrit, de la litt´erature en FLE ou Litt´erature qui rassemble
plusieurs id´ees d’activit´es autour de la litt´erature. Enfin, le Point du FLE12 fonctionne
comme un portail, proposant de tr`es nombreux liens vers des activit´es centr´ees sur la
litt´erature et des cours de stylistique ou d’histoire litt´eraire. La litt´erature, ici, est bien
vivante, et les enseignants rivalisent d’id´ees.
Au terme de ce bref panorama sur la place actuelle de la litt´erature dans l’enseignement
du FLE, le bilan est mitig´e. Il semble qu’on se m´efie de la litt´erature, et qu’on
ne sait pas bien quelle place lui accorder. Or ma formation principale en lettres modernes
et en stylistique, ainsi que mon exp´erience d’enseignement de la litt´erature en classe de
langue ´etrang`ere13, m’ont donn´e l’occasion de r´efl´echir sur la place que la litt´erature peut
occuper dans ce contexte sp´ecifique. Il en est n´e la conviction th´eorique, et p´edagogique,
que la litt´erature pr´esente un int´erˆet pour des apprenants ´etrangers et qu’elle peut ˆetre
enseign´ee avec dynamisme et sans contrevenir aux exigences de communication actuelles.
Ce m´emoire voudrait donc revenir sur ces questions, sur les diff´erentes mani`eres dont
la litt´erature est introduite en classe de FLE et sur le rˆole qu’elle peut jouer dans le
d´eveloppement des comp´etences de communication des apprenants, avant de d´efendre
une certaine approche de la litt´erature en classe de FLE : la stylistique, qui se fonde sur
l’id´ee que la litt´erature est un « laboratoire langagier »14. Nous exposerons ensuite les
cons´equences p´edagogiques d’un tel choix, et proposerons en derni`ere partie un module
p´edagogique illustrant notre point de vue15.
10Consulter le site EduFLE : http ://www.edufle.net
11Consulter le site Le Plaisir D’Apprendre : http ://www.cavilamenligne.com .
12Consulter la rubrique Litt´erature du Point du Fle : http ://www.lepointdufle.net/litterature.htm .
13Il s’agit de mon exp´erience d’enseignement `a Smith College (Etats-Unis) en 2008-2009, aupr`es de
jeunes ´etudiants en premi`ere ou seconde ann´ee d’universit´e.
14L’expression est de Jean Peytard.
15Ce m´emoire a ´et´e r´ealis´e dans la perspective d’un Master 2 recherche, c’est pourquoi nous avons
d´ecid´e d’accorder une large place `a l’analyse th´eorique et aux sources bibliographiques que nous avons
pu consulter.
Chapitre 1
Approches th´eoriques du texte
litt´eraire en classe de langue
1.1 Enseigner la litt´erature : oui, mais pourquoi ?
Pourquoi enseigner la litt´erature en classe de langue, plutˆot que l’histoire ou la biologie
? La question semble absurde tant la r´eponse est ´evidente, c’est que « le langage est
l’ˆetre de la litt´erature », pour reprendre une expression de Roland Barthes (1984, p.14).
Roman Jakobson ajouterait que la fonction premi`ere du texte litt´eraire est la fonction
po´etique et que la langue et son fonctionnement constituent donc l’objet mˆeme de la
litt´erature, tandis que les autres discours sont g´en´eralement centr´es sur un r´ef´erent qui
leur est ext´erieur. D`es lors, langue et litt´erature vont de pair, puisque l’une est l’incarnation
de l’autre. Et c’est bien dans cette perspective que la litt´erature a ´et´e enseign´ee :
comme incarnation suprˆeme de la langue. Mais pas comme seule incarnation possible at-
on ajout´e ensuite, et c’est l`a que le bˆat blesse. Si l’objectif d’un cours de langue est
de rendre les apprenants autonomes en situation de communication exolingue, de leur
permettre de se « d´ebrouiller » en toute situation, alors en quoi la litt´erature va-t-elle
les aider `a parvenir `a cette autonomie ? L’anecdote est connue de celui qui a appris une
langue ´etrang`ere `a travers sa litt´erature (c’est assez largement ce qui se fait en France
au lyc´ee, surtout dans les fili`eres litt´eraires) et qui, se rendant ensuite dans un pays o`u
on parle cette langue, peut r´eciter des po`emes entiers, mais est incapable de poser une
question simple, comme « Pouvez-vous me passer le sel, s’il-vous-plaˆıt ? ». Le r´esultat
obtenu ´etant inverse `a celui escompt´e, la litt´erature a ´et´e accus´ee la premi`ere de manquer
`a ses objectifs : la lecture et l’analyse de textes litt´eraires ne permettraient pas
d’apprendre `a communiquer en langue ´etrang`ere. D`es lors, on a soigneusement distingu´e
langue et litt´erature et r´eserv´e la litt´erature aux apprenants les plus avanc´es. C’est l`a nier
« qu’on puisse apprendre la langue par la litt´erature pour mieux affirmer qu’on apprendra
la litt´erature par la langue », comme l’a dit Daniel Coste (1982, p.70).
8
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 9
Langue et litt´erature, le lien entre les deux est ´evident puisqu’il n’y a pas de litt´erature
sans mots et sans syntaxe, donc sans langue. Pourtant, on n’enseigne pas la langue comme
on enseigne la litt´erature, et certainement pas avec les mˆemes objectifs. Apprendre une
langue, c’est apprendre `a communiquer, donc `a exercer sa libert´e et son autonomie, dans
un contexte linguistique et social ´etranger ; quant `a la litt´erature, on ne l’apprend pas,
si ce n’est par coeur en r´ecitant des textes. En revanche, on la d´ecouvre, on l’analyse,
on l’´ecrit. Les objectifs d’un enseignement de la litt´erature peuvent ˆetre la connaissance
de l’histoire litt´eraire, le d´eveloppement de la sensibilit´e, l’´edification morale, l’apprentissage
d’un certain type d’analyse. Si le langage est l’ˆetre de la litt´erature, la litt´erature
n’est pas l’ˆetre du langage. Langue et litt´erature vont de pair, mais aussi diff`erent, et
ne peuvent ˆetre abord´ees de la mˆeme mani`ere dans le cadre de la didactique. Cela nous
invite `a reposer la question : pourquoi enseigner la litt´erature en classe de langue ? Nous
proposons ici une synth`ese des principales approches de la litt´erature aujourd’hui, telles
qu’elles apparaissent dans les manuels ou dans les travaux critiques.
Apprendre la langue par la litt´erature
Au premier rang des int´erˆets que la litt´erature peut avoir pour un apprenant ´etranger,
se place la langue elle-mˆeme. Il a souvent ´et´e dit que la litt´erature repr´esente un d´efi pour
les apprenants qui ont souvent l’id´ee (g´en´eralement avec raison) que les textes litt´eraires
sont difficiles `a lire. Francine Cicurel utilise le mot « labeur » qu’elle oppose au « plaisir »
que devrait normalement susciter la lecture d’un texte (1991, p.129). Car les difficult´es linguistiques
que rencontrent les apprenants sont `a l’origine d’autres difficult´es qui entravent
leur lecture : leur manque de vocabulaire ou leurs incertitudes en syntaxe entraˆınent en
effet certaines incompr´ehensions des ´ev´enements d´ecrits, brouillant l’horizon d’attente
suscit´e par le texte et gˆenant la compr´ehension de la suite des ´ev´enements. Ainsi des allusions
ne sont pas d´ecod´ees, qui empˆechent de comprendre l’enchaˆınement des ´ev´enements.
Mais c’est aussi cette complexit´e qui peut stimuler les apprenants car ils savent que le
texte litt´eraire est reconnu pour sa richesse linguistique et qu’il n’a pas ´et´e fabriqu´e `a
leur intention dans un but p´edagogique. R´eussir `a lire ce genre de texte est pour eux une
preuve de leur maˆıtrise de la langue et peut susciter une certaine fiert´e. La litt´erature
reste toujours associ´ee avec la « belle langue », donc avec la langue difficile, et c’est bien
en tant que « belle langue » que la litt´erature peut ˆetre qualifi´ee de langue de r´ef´erence
pour l’´ecrit. Certains ´etudiants m’avaient ainsi exprim´e leur gratitude `a la fin d’un cours
de litt´erature, tant ils ´etaient heureux d’avoir pu lire cinq textes litt´eraires relativement
complexes1. Ce qui les rendait fiers ´etait d’avoir r´eussi `a lire et `a comprendre ces textes,
et ils attribuaient leur r´eussite `a une meilleure connaissance de la langue et de son fonc-
1Une de mes ´etudiantes m’avait ´ecrit `a la fin du semestre : « Je suis tr`es ravie que je ´etudie le fran¸cais
et je peux lire les bons oeuvres `a la langue originale. » Nous n’avons pas corrig´e les fautes.
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 10
tionnement, bien plus qu’`a l’aide que leur enseignant a pu leur apporter dans l’analyse de
la di´eg`ese. R´eussir `a lire un texte litt´eraire est donc un succ`es tout linguistique aux yeux
des apprenants.
Cette fiert´e est bien souvent m´erit´ee, car sur le plan linguistique, les textes litt´eraires
posent en effet un certain nombre de difficult´es aux apprenants. Mˆeme si on laisse de cˆot´e
la question de la forme po´etique du texte et des complications linguistiques qu’elle peut
entraˆıner, l’apprenant se trouve souvent face `a des mots de vocabulaire ou `a des mod`eles
syntaxiques qu’il n’a pas appris ou pr´ec´edemment rencontr´es. Les mots rencontr´es dans
les textes litt´eraires ne correspondent en effet pas toujours aux mots du fran¸cais fondamental2
ou aux mots jug´es les plus utiles `a la communication par les manuels de langue.
D`es lors, l’apprenant doit lire le texte avec un dictionnaire et se heurter `a la polys´emie
des mots, quand l’enseignant ne lui vient pas en aide avec une liste de vocabulaire. Quant
`a la syntaxe, elle est souvent plus complexe dans les textes litt´eraires que dans les articles
de presse, dont la principale difficult´e syntaxique r´eside dans le discours rapport´e. La
syntaxe a aussi connu une certaine ´evolution au cours des si`ecles, si bien que les textes de
la fin du XIXe si`ecle, qui multiplient les propositions de subordination, deviennent particuli`
erement ardus `a lire pour les apprenants. Enfin, vocabulaire et syntaxe se recoupent
dans le probl`eme de l’anaphore, particuli`erement ´etudi´e aujourd’hui dans le cadre de l’analyse
du discours. Or bien rep´erer les anaphores est indispensable `a la bonne compr´ehension
du texte.
Ces obstacles li´es au vocabulaire et ceux li´es `a la compr´ehension du sens du texte
sont deux des trois difficult´es majeures relev´ees par Francine Cicurel (1991, p.149 sq),
le troisi`eme obstacle ´etant celui d’une m´econnaissance de l’univers culturel d’o`u le texte
est originaire. Bien ´etudi´e, le texte litt´eraire apparaˆıt ainsi comme l’occasion de stimuler
l’apprentissage de la langue chez les apprenants, surtout s’il s’agit d’un texte relativement
long, lu en plusieurs s´equences, et propos´e dans son int´egralit´e aux apprenants. Dans ce
cas, les apprenants doivent `a la fois mobiliser les connaissances qu’ils ont acquises avant
de lire le texte (il est rare qu’un texte soit uniquement au pr´esent ou n’utilise jamais le
conditionnel), et ensuite faire jouer leur m´emoire tout au long de leur lecture. Le style de
l’auteur, le genre choisi et le sujet de l’oeuvre sont en effet des constantes que l’apprenant
doit rep´erer et dont il doit se souvenir. Retenir d`es le d´ebut de la nouvelle le vocabulaire
de la peur permet de lire plus facilement Le Horla. De plus, proposer le texte sans le
modifier (le simplifier ou en r´esumer des parties) implique une certaine in´egalit´e dans le
niveau de difficult´e qui peut ´egalement stimuler les apprenants lors de leur lecture. Les
textes plus courts pourront ˆetre consacr´es `a l’´etude de tel ou tel ph´enom`ene linguistique.
Ainsi Amos Paran rapporte l’exemple d’un po`eme de Pr´evert utilis´e pour enseigner l’emploi
des pronoms relatifs « que » et « o`u », juste avant de se demander « to what extent
2Nous faisons ici r´ef´erence au Fran¸cais fondamental (FF1) ´elabor´e dans les ann´ees 50.
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 11
this is a literature and language lesson, and to what extent this is a language class which
merely happens to use a literary text. »3 (2008, p.484). Le danger des textes courts est
ainsi de les subordonner enti`erement `a l’´etude de la langue, si bien que les apprenants les
lisent comme ils pourraient lire n’importe quel autre texte. C’est bien ce que voulait dire
R.J. Nelson, quand il affirmait : « To approach ‘language through literature’ is at once
ill-founded and impractical. »4 (1959, p.457). L’´etude de la langue dans un texte litt´eraire
se fait dans ce cas au d´etriment de la litt´erature.
Litt´erature et interculturalit´e
Un ouvrage du Conseil de l’Europe sur la dimension interculturelle dans l’enseignement
des langues mentionne que l’apprenant doit acqu´erir une « comp´etence linguistique
(n´ecessaire `a la communication) et une comp´etence interculturelle » (2002, p.9) devant
permettre un dialogue ´eclair´e entre des individus ayant des identit´es sociales diff´erentes
et prenant en compte la complexit´e de leurs identit´es multiples r´eciproques. Le bon professeur
est alors celui qui « est capable de faire savoir `a ses ´el`eves la relation entre leur
propre culture et d’autres cultures, de susciter chez eux un int´erˆet et une curiosit´e pour
l’alt´erit´e, et de les amener `a prendre conscience de la mani`ere dont d’autres individus les
per¸coivent, eux-mˆemes et leur culture » (ibid.). Or Roland Barthes soulignait que « le
monde de l’oeuvre [litt´eraire] est un monde total, o`u tout le savoir (social, psychologique,
historique) prend place, en sorte que la litt´erature a pour nous cette grande unit´e cosmogonique
dont jouissaient les anciens Grecs » (1984, p.13). Lire un texte litt´eraire, c’est
donc aussi acc´eder `a ce savoir que l’auteur a introduit dans son texte. L’exemple le plus
caract´eristique pourrait ˆetre Bouvard et P´ecuchet de Flaubert, o`u la plupart des grandes
sciences du temps sont pass´ees en revue par les deux h´eros. Mais ce savoir peut rester
`a l’´etat implicite dans le texte : ainsi, le savoir occupe apparemment une place moins
importante dans L’Education sentimentale que dans Bouvard et P´ecuchet, et pourtant
on y retrouve une description de la soci´et´e de l’´epoque (savoir historique et social), ainsi
qu’une ´evocation de l’amour, de l’ambition et de ses d´esillusions (savoir psychologique)
`a travers le personnage de Fr´ed´eric. Mˆeme si on a pu d´efendre l’id´ee de la « mort de
l’auteur »5, et d´efendre un nouveau type de lecture, structuraliste, des textes, il n’en reste
pas moins que les oeuvres litt´eraires ont ´et´e ´ecrites dans un certain contexte historique
et social qui les impr`egne de mani`ere diffuse, quand elles ne le mettent pas explicitement
en sc`ene. Et c’est `a ce titre que les oeuvres litt´eraires, accomplissant ce grand miracle
3« dans quelle mesure il s’agit d’un cours de langue et de litt´erature, et dans quelle mesure il s’agit
d’un cours de langue qui utilise simplement un texte litt´eraire. », nous traduisons.
4« Etudier ‘la langue `a travers la litt´erature’ est `a la fois infond´e et inadapt´e `a la pratique. », nous
traduisons.
5Voir Roland Barthes, « La mort de l’auteur », Le bruissement de la langue. Essais critiques IV,
Paris : Seuil, p.61-67.
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 12
de reconstitution d’un univers total bien qu’incomplet6, peuvent ˆetre ´etudi´ees dans une
perspective interculturelle.
On ne s’´etonnera donc pas qu’Anna Gavalda fasse partie de la liste des 10 auteurs les
plus souvent utilis´es en classe de FLE pour son recueil de nouvelles Je voudrais que quelqu’un
m’attende quelque part, d’apr`es un sondage r´ealis´e par Franc-Parler7. Ses nouvelles,
´ecrites dans une langue relativement simple pour des apprenants ´etrangers, mettent en
sc`ene des personnages souvent repr´esentatifs de la vie fran¸caise et peuvent ˆetre `a l’origine
de discussions de classe comparant les comportements sociaux des Fran¸cais avec ceux
du pays d’origine des apprenants. D’autres textes mettent mˆeme en sc`ene des probl`emes
d’incompr´ehension interculturelle. C’est le cas de L’Etudiant ´etranger de Philippe Labro,
dans lequel un ´etudiant fran¸cais passe un an dans une universit´e de Virginie. C’est un extrait
de ce texte qui a ´et´e choisi par les auteurs de Pause-Caf´e, manuel destin´e `a un public
d’apprenants am´ericains, pour occuper la page « Lecture » du premier chapitre consacr´e
aux perceptions et st´er´eotypes culturels. Dans cet extrait, il est reproch´e `a l’´etudiant
fran¸cais de ne pas assez sourire lorsqu’il croise des gens et leur dit bonjour, et les apprenants
sont ensuite invit´es `a r´efl´echir sur la question des comportements et des coutumes
(p.42). Forum 3 propose quant `a lui un extrait des Nouvelles am´ericaines de Vladimir
Volkoff, texte dans lequel l’auteur se plaint d’avoir appris le fran¸cais. Les apprenants sont
alors amen´es `a confronter leur exp´erience avec celle de l’auteur (unit´e 12).
Les textes francophones sont aussi souvent `a l’honneur dans les manuels, o`u ils compl`etent
parfois un dossier culturel. Dans Pause-Caf´e, un extrait de La Gr`eve des b`attu d’Aminata
Sow Fall vient ainsi en appui au « Coin-Culture » consacr´e `a l’Afrique francophone
(chap.4). A la fin de leur lecture, les apprenants sont invit´es `a r´epondre `a la question :
« Dans ce texte, qu’est-ce que vous avez appris de la culture musulmane et s´en´egalaise ?
Quels sont les ´el´ements culturels qui sont importants afin de comprendre ce passage ? »
(p.121). Ces questions am`enent les apprenants `a s’int´eresser `a la perspective culturelle du
texte. Quant `a Reflets, il propose un extrait de Le Coeur `a rire et `a pleurer, contes vrais
de mon enfance, de Maryse Cond´e, un extrait d’Un hiver en Bretagne de Michel le Bris
et la chanson Le plat pays de Jacques Brel. A travers ces textes litt´eraires, le manuel met
ainsi l’accent sur les diff´erents modes de vie des francophones, qu’ils vivent en France, en
Europe, ou ailleurs.
Cette approche du texte litt´eraire a toutefois le d´efaut de ne mettre l’accent que
sur le contenu du texte, et pas sur sa litt´erarit´e. Le texte litt´eraire est lu comme un do-
6L’´ecrivain ne pourra jamais donner assez de d´etails pour rendre son univers complet, il manquera
toujours des informations sur certains lieux, certaines actions. . . Pourtant, l’univers qu’il met en place
est coh´erent et donne une impression de totalit´e au lecteur.
7Les r´esultats du sondage sont disponibles en ligne sur le site de Franc-Parler :
www.francparler.org/dossier/litterature questionnaire.htm .
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 13
cument. De plus cette approche ne permet pas r´eellement de lier langue et litt´erature, la
litt´erature appartenant au versant culturel de l’enseignement, et d`es lors, lire le texte en
traduction dans la langue maternelle de l’apprenant ne paraˆıt pas totalement injustifi´e. Si
les apprenants d´ecouvrent une culture, en revanche la litt´erature n’apparaˆıt pas comme
un moyen privil´egi´e de progresser dans leur maˆıtrise de la langue.
Litt´erature et universalit´e
Mˆeme si l’auteur ´ecrit dans un contexte personnel, social et historique bien sp´ecifique,
selon Jean-Paul Sartre, les ´ecrits litt´eraires « enferment `a la fois, pr´ecisent et d´epassent
cette situation, l’expliquent mˆeme et la fondent. » (1948, p.154). Pour Marie-Claude Albert
et Marc Souchon, ces propos justifient « le recours aux textes litt´eraires en didactique
des langues ´etrang`eres » : la litt´erature, en ce qu’elle d´epasse la situation de l’´ecrivain,
est universelle, donc non-adapt´ee au public pr´ecis vis´e par l’´ecrivain au moment de la
publication de son texte. Le fait que l’oeuvre litt´eraire ne soit pas enti`erement contextualis
´ee lui permet de toucher des publics tr`es diff´erents, `a diff´erents moments du temps, en
diff´erents points de l’espace. Il faut donc se m´efier d’une approche qui consisterait uniquement
`a chercher des indices de contextualisation pour (re)construire le sens (2000, p.38).
Cela signifie qu’un texte litt´eraire paru en France, d’abord pour un public fran¸cais, peut
tout `a fait « parler » `a des apprenants ´etrangers. Cette approche est directement li´ee `a
l’esth´etique de la r´eception, telle qu’elle a ´et´e d´evelopp´ee par H.R. Jauss. Le critique a en
effet montr´e qu’au moment o`u paraˆıt une oeuvre litt´eraire, « son public est pr´edispos´e `a
un certain mode de r´eception » (1978, p.50), que l’oeuvre appelle donc un certain type de
public. Mais le propre de la litt´erature, c’est aussi sa plasticit´e, `a savoir qu’il y a plusieurs
lectures possibles, et que tous les lecteurs ne vont pas actualiser les mˆemes potentialit´es
de l’oeuvre. Pour qui aime `a lire plusieurs fois une oeuvre, c’est mˆeme une exp´erience assez
courante que d’y lire des choses diff´erentes. M-C. Albert et M. Souchon concluent alors
que « c’est sa grande plasticit´e, sa disponibilit´e et son caract`ere ouvert qui font de la
communication litt´eraire une forme de communication privil´egi´ee dans l’enseignement et
l’apprentissage d’une langue ´etrang`ere. » (2000, p.50).
Cette approche du texte litt´eraire comme espace d’universalit´e a ´et´e adopt´ee il y a
plusieurs ann´ees par les professeurs de litt´erature anglaise de coll`eges et lyc´ees am´ericains.
Il n’est pas rare que le professeur commence l’´etude d’un texte `a partir des r´eactions des
´el`eves : ce qu’ils aiment ou n’aiment pas, ce qui les choque, ce qu’ils comprennent ou ne
comprennent pas. . .8 Les ´el`eves sont ainsi amen´es `a r´eagir de mani`ere toute personnelle,
8La lecture du manuel am´ericain Bridging English, de Joseph O. Milner et Lucy F. Milner est `a cet
´egard tr`es int´eressante. Les auteurs de ce manuel ´etablissent une progression en quatre ´etapes « based on
a conception of literature and on principles of personal and cognitive development » (2007, p.83), qui doit
permettre aux apprenants d’entrer progressivement dans un texte. La premi`ere de ces ´etapes est appel´ee
« Reader Response » : le professeur doit laisser les apprenants d´evelopper leurs propres impressions et
sentiments vis-`a-vis de ce texte. Tout savoir historique, critique ou mˆeme litt´eraire est laiss´e de cˆot´e
(ibid.).
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 14
`a s’impliquer affectivement tout autant qu’intellectuellement dans leur lecture. D`es lors
il n’est pas surprenant que l’on retrouve cette approche dans Pause-Caf´e : `a la fin d’une
s´erie de questions d’exploitation du po`eme de Victor Hugo, « Elle avait pris ce pli. . . »,
les apprenants sont invit´es `a discuter entre eux des questions suivantes : « Si vous ´etiez
po`ete, de quels th`emes aimeriez-vous parler ? », « Pensez-vous que la po´esie vous aiderait
`a faire face `a des situations difficiles et `a g´erer vos ´emotions » (chap. 3, p.92). De mˆeme, `a
propos de l’extrait de L’Etudiant ´etranger de Philippe Labro : « Quelle est votre r´eaction
vis-`a-vis de Gordon [l’homme qui fait des reproches au Fran¸cais] ? Et vis-`a-vis du jeune
Fran¸cais ? Quel personnage vous est le plus sympathique ? Pourquoi ? » (chap.1, p.42). Le
genre du texte (po`eme de Victor Hugo) ou son th`eme (extrait de Philippe Labro) peuvent
faire du texte litt´eraire le lieu, ou le pr´etexte, d’une v´eritable communication entre les
apprenants. Comme pr´ec´edemment avec l’approche culturelle, c’est le contenu du texte
qui est privil´egi´e, plus que sa litt´erarit´e.
Une science de la litt´erature
Faire de la litt´erature un « suppl´ement culturel » ou le pr´etexte d’une communication
authentique est tout `a fait l´egitime dans le contexte d’une classe de langue. Toutefois, les
enseignants les plus attach´es `a la litt´erature trouveront probablement que ces diff´erentes
approches de la litt´erature ne font que l’instrumentaliser, `a l’´etude de la langue, aux faits
culturels, ou `a la psychologie des apprenants. Ils voudront alors privil´egier une approche
plus « litt´eraire » et aussi plus technique, plus proche de celle qui est d´evelopp´ee dans les
coll`eges et lyc´ees fran¸cais. Cette approche, traditionnelle, est encore largement pr´esente
aujourd’hui, et Eliane Papo et Dominique Bourgain font appel `a ses techniques dans leur
module p´edagogique fond´e sur les outils de l’analyse litt´eraire (fonctions du narrateur,
mode de narration, types de discours et types de texte). Ce module est destin´e `a deux
publics diff´erents : des apprenants de FLE de lyc´ees ou universit´es ´etrang`eres, et des
coll´egiens fran¸cais, sp´ecialement ceux qui sont en difficult´e scolaire (1989). E. Papo et D.
Bourgain justifient ainsi leurs choix m´ethodologiques :
« nous proposons de conduire les apprenants `a op´erer une rupture avec le mode de
connaissance et de donc de pratique de la lecture dont ils disposent `a un moment donn´e,
et cela, en mettant en oeuvre, pratiquement, un appareil notionnel et des d´emarches qui
ont toute chance de ne pas faire partie de leur capital de notions et de d´emarches (pour
la simple raison que leur usage est plutˆot le fait de sp´ecialistes). (. . .)
En cherchant `a impulser chez les apprenants une d´emarche s´emiotique, « savante », on
attend, parce que cette d´emarche met en oeuvre des outils rationnels d’analyse, une prise
de distance des apprenants au texte qui tend `a une certaine objectivation de leur rapport
`a cet objet : (. . .) elle devrait permettre aux apprenants de modifier leur regard sur
le texte, armer leur lecture par des outils dont l’efficacit´e a ´et´e prouv´ee (. . .). » (1989,
p.38. Ce sont les auteurs qui soulignent.)
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 15
Si l’hypoth`ese de d´epart est int´eressante, le module p´edagogique n’est malheureusement
pas `a la hauteur de ces ambitions. La nouveaut´e, et l’int´erˆet, de la m´ethode est
qu’elle rend les apprenants actifs dans leur apprentissage, puisque ce sont eux qui sont
`a l’initiative des remarques sur le fonctionnement des textes. En revanche, le choix des
outils am`ene les auteurs `a confronter des extraits uniquement sur leur forme : Quelles sont
les marques du narrataire dans Politesse II, Superman II, L’amiti´e et Roses de Roland
Barthes (p.86-102) ? Quelle est la fonction du narrateur dans L’insoutenable l´eg`eret´e des
l’ˆetre de Milan Kundera (p.116-125) ? Mais le contenu mˆeme du texte n’est abord´e qu’en
passant, comme s’il ´etait supprimable. C’est l`a tout le probl`eme des analyses litt´eraires
qui ne portent que sur un ´el´ement du texte : pour que l’analyse soit vraiment profitable
aux apprenants, il est essentiel qu’elle porte sur un ´el´ement qui soit `a la jonction entre sens
et forme. Or dans le cas des chroniques de Roland Barthes, c’est le statut du narrateur,
bien plus que celui du narrataire, ou au moins la relation entre les deux, qui aurait pu
assurer cette jonction entre la forme et le sens.
On rel`eve ´egalement dans Reflets quelques questions d’exploitation relevant de l’analyse
litt´eraire. Mais les auteurs ont ici choisi de ne pas utiliser les outils des sp´ecialistes.
Ainsi `a propos d’un extrait de L’Etranger de Camus, on rel`eve : « Faites la liste des
indications de couleur. Quelles sont les couleurs dominantes ? » ou « Relevez les verbes
de mouvement. A quels aspects du paysage s’opposent-ils ? Relevez les mots qui ´evoquent
la tranquillit´e. » (dossier 1). Les questions invitent ici les apprenants `a r´efl´echir `a l’organisation
du texte (s`emes dominants, r´eseaux d’opposition) et donc `a la jonction entre la
forme et le sens. Pause-Caf´e propose ´egalement des questions d’analyse litt´eraire `a propos
de plusieurs textes comme le po`eme Libert´e de Paul Eluard (chap. 5) pour lequel les apprenants
doivent relever les oxymores. Ces analyses, si elles d´ebouchent sur une v´eritable
mise en perspective du ou des sens du texte et du fonctionnement de la langue, ont tout
`a fait leur place dans le cadre d’un apprentissage du FLE; le tout est qu’elles ne restent
pas lettre morte. A quelques exceptions pr`es, les apprenants de FLE ne deviendront pas
professeurs de litt´erature fran¸caise et ces outils doivent donc ˆetre des aides dans leur apprentissage,
plus qu’un objectif en soi.
Mais cette technique d’analyse est ´egalement d´ecri´ee sur le plan m´ethodologique car,
employ´ee avec des ´etudiants de niveau 3, elle m`ene souvent `a l’exercice fran¸cais bien
connu de l’explication de texte. Or Amor S´eoud affirme, cat´egorique : « nous devons
mettre l’accent sur le premier tort de l’explication de texte, qui est d’exister. » (1997,
p.102). Le d´efaut de l’explication de texte est de tendre `a r´eduire la polys´emie du texte
litt´eraire `a « un » sens cach´e signifi´e par l’auteur9 et connu du seul professeur charg´e de le
9Voir Jean Peytard, (1988). Des usages de la litt´erature en classe de langue. Le Fran¸cais dans le
monde, recherches et applications, 8-17, et le commentaire qu’en fait Amor S´eoud dans (1997) Pour une
didactique de la litt´erature, p.101 sq.
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 16
r´ev´eler aux ´etudiants. Il en r´esulte que l’explication de texte nie la dimension proprement
litt´eraire du texte dont la polys´emie serait la source de sa litt´erarit´e et instaure au sein
de la classe une relation de type initiateur-initi´es entre le professeur et ses ´el`eves, qui nie
le rapport intimement subjectif de l’apprenant au texte et qui est contraire `a l’objectif de
communication. Alors, l’analyse tue le texte car elle le r´eduit, et ce faisant elle diminue le
plaisir que peuvent ressentir les apprenants, car le cours de litt´erature devient un cours
doctrinaire o`u le professeur cherche `a transmettre des id´ees. Langue et litt´erature, paradoxalement,
sont encore s´epar´ees, puisqu’il s’agit avant tout d’un cours de litt´erature ou
d’histoire litt´eraire. L’analyse ou l’explication de texte ne peut repr´esenter un objectif en
soi dans le cadre de l’enseignement du FLE.
Lire pour le plaisir
L’´echec de ce type d’enseignement a conduit `a s’interroger sur la possibilit´e mˆeme
d’enseigner la litt´erature. Lors du colloque de Cerisy, Jean Cohen et Serge Doubrovsky
ont r´epondu `a cette question en affirmant qu’« on ne peut enseigner que la science et,
par cons´equent, puisque la litt´erature n’est pas la science, on ne peut l’enseigner. » (1971,
p.591). On ne peut enseigner qu’un savoir sur la litt´erature, mais non pas la litt´erature
elle-mˆeme : `a l’issue d’un cours sur la litt´erature, on est capable de l’expliquer, mais pas
d’´ecrire un texte litt´eraire. Toutefois les deux critiques ont laiss´e de cˆot´e l’id´ee qu’un
cours de litt´erature peut enseigner `a lire la litt´erature, chose qui paraˆıt acquise pour un
professeur de litt´erature, mais qui ne l’est certainement pas pour les apprenants.
Depuis quelques ann´ees se d´eveloppe alors une nouvelle approche du texte litt´eraire
qui refuse toute ex´eg´etique litt´eraire et pr´econise le plaisir de la lecture. Denis Bertrand
et Fran¸coise Ploquin remarquent ainsi que les diverses approches de la litt´erature, structuralisme,
intertextualit´e et polyphonie, sociologie appliqu´ee `a la litt´erature. . . « reposent
toutes sur un socle commun : celui de la primaut´e du cognitif. La litt´erature reste dans
tous les cas objet de savoir, objet de classement, objet d’interpr´etation. La part du sensible
apparaˆıt marginale, comme un suppl´ement d’ˆame, r´etribuant dans le meilleur des cas un
parcours de la connaissance. » (1991, p.43-44). Ils se demandent alors « comment prendre
en compte cette part du sensible dans la litt´erature » et concluent que « la p´edagogie de
la litt´erature ne peut ˆetre autre chose qu’une p´edagogie de la lecture. » (ibid.). D`es lors,
la sensibilit´e, la subjectivit´e et le plaisir prennent le pas sur l’analyse. C’est aussi l’avis
d’Henri Besse qui, dans « Sur une pragmatique de la lecture litt´eraire, ou “de la lecture
qui est la communication au sein de la solitude” » (1988, p.53-62), distingue trois types
de sens au sein du texte litt´eraire : le sens litt´eral (ce que le texte dit), le sens signifi´e (ce
qu’a ou aurait voulu dire l’auteur) et le sens ´evoqu´e (ce que le texte dit au lecteur) : « or
il apparaˆıt que le sens ´evoqu´e est le plus important chez les jeunes, alors que les enseiApproches
th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 17
gnants font la part belle aux savoirs sur l’auteur et son ´epoque (donc au sens signifi´e) ».
Henri Besse envisage alors « une didactique de la litt´erature dans laquelle le sens ´evoqu´e
prendrait le pas, dans un premier temps, sur le sens litt´eral et le sens signifi´e ».
La didactique de la litt´erature doit ˆetre une didactique de la lecture, le questionnement
se centrant sur une double question : Comment donner aux apprenants l’envie de lire ?,
et : Comment faire en sorte qu’ils r´eussissent `a lire ? Allant dans le mˆeme sens, Francine
Cicurel affirme que « Le texte n’est pas seulement objet `a ´etudier, objet ´etranger difficilement
accessible, mais texte dont on s’empare, dans lequel on s’implique et sur lequel on a
le droit de dire quelque chose. » (1991, p.134). Elle propose `a l’enseignant de favoriser trois
types de relation : la relation du lecteur au texte `a travers les anticipations et hypoth`eses
de lecture ; la relation du texte au lecteur avec les r´eactions personnelles du lecteur ; et
la relation entre les diff´erents apprenants-lecteurs `a travers le travail de groupe. Puis elle
d´ecrit un itin´eraire de lecture devant aider les apprenants `a mieux comprendre le texte
qu’ils lisent et `a mieux s’impliquer dans leur lecture (1991, p.135 sq)10. Tous ces travaux
cherchent `a favoriser la rencontre du lecteur avec le texte et de donner envie de lire11.
La lecture est bien le seul moyen d’acc`es `a la litt´erature et si, dans Comment parler des
livres qu’on n’a pas lu ?, Pierre Bayard affirme pouvoir parler de textes qu’il a simplement
feuillet´es ou dont il a juste entendus parler, il se vante ici de maˆıtriser un savoir sur la
litt´erature, mais ce savoir ne remplacera jamais l’exp´erience mˆeme de la lecture. Or c’est
cette exp´erience, intimement personnelle et toujours unique, d´ecrite par Proust dans sa
pr´eface `a S´esames et lys, qui est ici vis´ee.
Conclusion
Il va de soi que tous les objectifs qui ont ´et´e ´evoqu´es ici peuvent ˆetre combin´es et Bernard
Uhoda, d´efendant `a la fois le recours au texte litt´eraire et la pratique de l’explication
de texte en classe de FLE affirme ainsi que « le texte litt´eraire est un mod`ele pour l’enseignement
de la langue (besoins linguistiques), il est repr´esentatif d’une soci´et´e donn´ee
et ouvre sur l’interculturalit´e (besoins culturels), il entraˆıne `a une r´eflexion sur le langage
et diversifie les exp´eriences de lecture (besoins intellectuels) et il exerce l’affectivit´e et
l’´emotion (besoins esth´etiques). » (2003, p.4). Si privil´egier les besoins linguistiques ˆote `a
la litt´erature sa litt´erarit´e, privil´egier les besoins intellectuels tend `a transformer la le¸con
en apprentissage des savoirs litt´eraires, privil´egier les besoins esth´etiques tend `a mettre
l’accent sur la psychologie des apprenants, seuls les besoins culturels peuvent pleinement
ˆetre satisfaits sans contrevenir aux objectifs du FLE ou r´eduire la litt´erature `a un simple
document authentique. Pourtant les autres perspectives sont tout aussi l´egitimes pour
satisfaire les deux objectifs principaux d´ecrits par les travaux du Conseil de l’Europe :
10Lire aussi le chapitre 6 « Lire pour le plaisir du texte » d’Amor S´eoud (1997), qui propose une
synth`ese de cette question.
11On trouvera dans l’article de D. Bertrand et F. Ploquin (1991) une liste d’id´ees allant dans ce sens.
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 18
am´eliorer les comp´etences de communication des apprenants et d´evelopper leur sentiment
interculturel. Le d´efi auquel doivent r´epondre les enseignants est donc d’introduire la
litt´erature dans leurs cours sans la r´eduire ou l’appauvrir, et en faire un v´eritable agent
de l’apprentissage de la langue.
1.2 Pour une didactique de la stylistique
Le titre de cette partie, qui est aussi le titre de ce m´emoire repose sur un pr´esuppos´e,
`a savoir que la litt´erature est utile, voire n´ecessaire, en classe de langue12. Nous avons
d´ej`a pr´esent´e pr´ec´edemment les diff´erentes raisons pour lesquelles la litt´erature peut ˆetre
consid´er´ee comme un atout en classe de langue, mais il apparaˆıt que deux raisons ont
´et´e oubli´ees. D’abord, il est amplement reconnu que la litt´erature fait aujourd’hui partie
du patrimoine fran¸cais en tant que forme artistique qui a connu un d´eveloppement et un
rayonnement tr`es important depuis le Moyen-ˆAge. Initier les apprenants `a la litt´erature
fran¸caise, c’est donc aussi leur donner les moyens d’avoir acc`es `a ce patrimoine. Bien
que cette raison puisse prendre une forme plus id´eologique que culturelle, elle justifie
pleinement la pr´esence de la litt´erature au sein des cours de langue. Cette raison, en
revanche, n’indique pas quelle approche doit ˆetre privil´egi´ee. C’est ici qu’intervient donc
une seconde raison, souvent mise de cˆot´e, `a savoir que la litt´erature est un « laboratoire
langagier » (formule de Jean Peytard, 1982), le lieu de tous les possibles de la langue.
La litt´erature ne vient pas seconder ou illustrer la grammaire, mais elle est en soi un
tr´esor linguistique. Et voici de quoi r´econcilier enseignement/apprentissage de la langue
et enseignement/apprentissage de la litt´erature. Car, alors mˆeme que « le langage est l’ˆetre
de la litt´erature », la difficult´e que les diff´erentes approches du texte litt´eraire en classe
de langue ont mise en relief est pr´ecis´ement celle de relier enseignement/apprentissage de
la langue et enseignement/apprentissage de la litt´erature. En tant que « belle langue », la
plus belle contribution que la litt´erature puisse apporter `a un apprenant est probablement
de stimuler l’apprentissage de la langue, mais c’est pr´ecis´ement cette dimension-l`a qui fait
souvent d´efaut lors de l’introduction de textes litt´eraires en classe de langue.
L’h´eritage de Jean Peytard
C’est Jean Peytard, ancien chercheur du CRELEF qui a probablement le premier
cherch´e `a r´eunifier ´etude de la langue et ´etude de la litt´erature. Alors que les deux
m´ethodes traditionnelles d’approche du texte litt´eraire ´etaient l’illustration de faits gram-
12Nous reviendrons par la suite sur les diff´erents publics qui fr´equentent les classes de FLE. Le public
que nous visons ici est celui de jeunes ´etrangers qui apprennent le FLE dans un contexte acad´emique (et
non, professionnel).
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 19
maticaux et l’illustration de faits sociaux et culturels, il a ´et´e `a l’origine d’une nouvelle
approche, ancr´ee dans le mouvement du structuralisme, qui se veut attentive aux faits de
langue litt´eraire. S’appuyant sur l’id´ee de Roland Barthes selon laquelle « la litt´erature
est un espace de langage » (1969), Jean Peytard indique que le texte litt´eraire est « lieux
de ‘litt´erarit´e’ – c’est-`a-dire d’´ecriture qui signale les potentialit´es, les ressources de la
langue `a apprendre. » (1988, p.17). La litt´erature est le lieu de tous les possibles de la
langue, elle est la meilleure incarnation de la langue, et c’est `a ce titre que son ´etude peut
se r´ev´eler fructueuse pour des apprenants ´etrangers. « Le pari `a faire consiste en ce que
l’approche du texte litt´eraire, comme ensemble des manifestations de la langue, requiert
une minutieuse attention analytique `a l’´ecriture. » Il r´esume sa th´eorie dans sa pr´eface `a
Litt´erature et communication en classe de langue :
« L’hypoth`ese (formul´ee d´ej`a dans Litt´erature et classe de langue, 1982) [est] que la
litt´erature peut et doit ˆetre pr´esente dans la classe de langue, et qu’elle produira son efficacit
´e si les approches du texte sont celles d’une s´emiotique ‘diff´erentielle’, ou ‘s´emiotique
des entailles’ inscrites dans la mat´erialit´e du texte sur son aire scripturale. Autrement dit,
le texte litt´eraire est un laboratoire langagier, o`u la langue est si instamment sollicit´ee
et travaill´ee, que c’est en lui qu’elle r´ev`ele et exhibe le plus pr´ecis´ement ses structures
et ses fonctionnements. Litt´erature, non pas, non plus, comme ‘suppl´ement
culturel’, mais assise fondatrice de l’enseignement de la langue. » (1989, p.8. Nous
soulignons.)
Il s’agit donc de travailler sur le signifiant et de rep´erer les « entailles du texte », les
endroits o`u « ¸ca pol´emise » : « On ne s’installe pas dans la lin´earit´e du texte, mais dans sa
tabularit´e. » (1988, p.16). Ces entailles peuvent ˆetre de nature scripto-visuelle (titraison,
typographie), syntaxique (pronoms personnels, temps verbaux, deixis, discours rapport´es),
paragrammatique (grapho-phon`emes) ou de variance (variations g´en´etiques). En ´etudiant
ces diff´erents ´el´ements, l’apprenant acc`ede `a la litt´erarit´e du texte tout en poursuivant
son apprentissage de la langue. L’attention minutieuse port´ee `a ces « entailles » l’invite
en effet `a s’int´eresser au fonctionnement de la langue ´etrang`ere qu’il apprend. Le texte est
con¸cu comme un ensemble de « diff´erences » (on pense bien ´evidemment ici `a la linguistique
saussurienne), et c’est en prenant consience de ces diff´erences que l’apprenant peut
progresser dans sa connaissance de la litt´erature, comme dans sa connaissance de la langue.
Eliane Papo et Dominique Bourgain ont illustr´e les id´ees de Jean Peytard dans Litt´erature
et communication en classe de langue, ouvrage dans lequel ils proposent un module
p´edagogique. Cet ouvrage ayant ´et´e pr´ec´edemment ´evoqu´e13, nous ne ferons ici que rappeler
certaines de ses caract´eristiques principales. La m´ethode adopt´ee est tr`es stimulante
en ce qu’elle rend les apprenants actifs : ils sont amen´es `a comparer plusieurs textes courts
et `a d´ecouvrir ainsi leurs fonctionnements r´eciproques. Mais les auteurs mettent malheureusement
plus l’accent sur la forme, les « entailles » du texte, que son r´eel contenu, si
13Cf. supra 1.1 ‘Une science de la litt´erature’.
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 20
bien que la machine semble tourner `a vide. On retrouve l`a un des d´efauts principaux du
structuralisme. Mais l’approche initi´ee par Jean Peytard a eu l’immense int´erˆet d’essayer
de relier apprentissage de la langue et apprentissage de la litt´erature, par le biais de la
th´eorie de la litt´erature comme « laboratoire langagier », et c’est cette id´ee qui nous
permettra d’´elaborer une didactique de la stylistique.
La stylistique au fondement de l’´etude de la langue
M´ethode de lecture des textes relativement r´ecente, la stylistique a aujourd’hui acquis
ses lettres de noblesse dans le cadre des ´etudes litt´eraires14, et m´eriterait probablement
de gagner de la place dans le cadre du FLE. Car la stylistique est centr´ee sur l’´etude du
fonctionnement de la langue au sein des textes, et `a ce titre elle peut permettre aux apprenants
de mieux connaˆıtre les potentialit´es et usages la langue qu’ils apprennent, donc
de la mieux lire, et `a terme de mieux la maˆıtriser ´egalement. En se centrant sur l’´etude
des textes comme autant de « laboratoires langagiers », la stylistique en classe de langue
pourrait ainsi permettre de r´esoudre ce conflit entre langue et litt´erature.
Lorsque Roland Barthes affirmait que « le monde de l’oeuvre [litt´eraire] est un monde
total », il voulait dire par l`a que tous les domaines du savoir et de l’exp´erience humaine
sont pr´esents dans les textes litt´eraires. Mais on peut aussi ajouter que la litt´erature offre
une immense vari´et´e de styles, en d´epit mˆeme de certaines codifications15. Et c’est cette
immense vari´et´e qui fait la richesse linguistique de la litt´erature, `a la diff´erence des articles
de presse qui laissent peu de place au style propre `a l’auteur. Un journaliste doit en effet
adopter le « style » du type d’article qu’il ´ecrit16, et dispose d’une marge de libert´e tr`es
r´eduite. Les essais, de mˆeme, pr´esentent des caract´eristiques communes li´ees au contenu
argumentatif. Mais la litt´erature n’ayant ni contenu ni vis´ee impos´ee pr´esente une immense
vari´et´e de styles li´es `a la libert´e de l’auteur.
Ces styles peuvent ˆetre consid´er´es comme autant de mani`eres de dire le monde. Car
mˆeme si la litt´erature est intransitive au sens o`u elle ne r´ef`ere pas directement au monde
r´eel, les mots qui la composent dessinent un univers, plus ou moins proche de l’univers
r´eel dans lequel ´evolue le lecteur, mais dans lequel il peut malgr´e tout trouver les rep`eres
de son exp´erience. Le contenu de la litt´erature, c’est bien l’exp´erience humaine. Ainsi,
14La preuve en est qu’elle a pris place au sein des agr´egations de lettres classiques, lettres modernes,
et grammaire, par l’interm´ediaire de l’´epreuve de grammaire du fran¸cais moderne.
15On sait en effet, notamment depuis les travaux accomplis en narratologie, que chaque genre repose
sur un syst`eme de codes.
16Les marques de ce « style » sont l’effacement de la premi`ere personne du sujet, l’importance des
modalisateurs, l’insertion des discours rapport´es pour l’article `a vis´ee informative, alors que l’article
d’analyse est beaucoup plus long et pr´esente une dimension scientifique plus nette. Quant `a la chronique,
le « je » de l’auteur y est souvent tr`es pr´esent, maniant mˆeme parfois l’ironie ou l’humour. Sous la plume
de certains auteurs, la chronique qui se rapproche nettement de la litt´erature. On se souvient que Roland
Barthes a ´et´e le grand chroniqueur du Nouvel Observateur entre d´ecembre 1978 et mars 1979.
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 21
mˆeme si la litt´erature n’est pas ancr´ee dans le r´eel, elle dit le monde, et la stylistique est
l’analyse de ces diff´erentes mani`eres de le dire. Nous sommes donc ici loin du structuralisme
et du syst`eme de diff´erences ferm´e : selon l’hypoth`ese stylistique, le texte entretient
une double relation, d’un cˆot´e avec l’exp´erience qu’il d´ecrit, de l’autre avec le lecteur. Le
texte litt´eraire est donc lui aussi communicatif : il parle de quelque chose `a quelqu’un,
et c’est l’´etude du fonctionnement de cette parole qui r´ev`ele la litt´erarit´e du texte. D`es
lors, une analyse stylistique peut prendre deux grandes directions : d’un cˆot´e l’´etude de
la mise en mots du r´ef´erent (mˆeme imagin´e) que le texte s’est donn´e ; de l’autre celle de
l’effet que le texte cherche `a faire sur le lecteur ; ces deux directions pouvant bien entendu
ˆetre combin´ees.
La litt´erature est « ˆetre de langage », et l’analyse stylistique accorde une attention
minutieuse aux mots du texte, car les mots sont le v´ehicule du contenu et de l’effet perlocutoire
du texte. Ce que l’´etude stylistique r´ev`ele, c’est qu’il n’y a pas de hasard en
litt´erature, et que le choix des mots et de leur organisation conditionne le « message »
communiqu´e. On se souvient de l’analyse que Julien Gracq a faite de la fameuse phrase
« La marquise sortit `a cinq heures. » :
« “La marquise” est en fait infiniment moins variable qu’il n’y paraˆıt. “La duchesse”
ferait tonner la grosse artillerie nobiliaire balzacienne, introduirait d’embl´ee un autre
registre social (...). “La comtesse” est un titre d´ej`a trop incolore pour qu’on l’emploie,
isol´e du nom, autrement que dans une intention particuli`ere, caricaturale par exemple.
“Marquise”, au surplus, reste vigoureusement connot´e par l’adjectif exquise, toujours
pr´esent musicalement en filigrane. (...) Beaucoup trop de choses – en fait d´ej`a tout un
aiguillage tonal du r´ecit — sont engag´es par ce choix (...). » (1980, p.124)
Ce sont l`a les r´eflexions d’un grand lecteur, particuli`erement cultiv´e qui plus est. Toutefois,
Gracq souligne ici combien les mots sont d’eux-mˆemes connot´es. Une modification
de la formulation entraˆıne ainsi une modification du sens et donc une modification des
attentes du lecteur.
L’analyse stylistique permet ainsi de lier ´etude de la langue et ´etude de la litt´erature,
puisque c’est l’attention mˆeme port´ee `a la langue du texte qui en r´ev`ele la litt´erarit´e. Le
sens et la forme ne sont jamais dissoci´es. L’approche stylistique doit ainsi inviter les apprenants
`a ˆetre sensibles au texte et `a ses effets perlocutoires, mais aussi `a observer minutieusement
comment le texte fonctionne sur le plan macrostructural (organisation g´en´erale du
texte : th`eme d´eclin´e et structure en paragraphes) et microstructural (choix paradigmatique
et organisation syntagmatique des mots). Le fonctionnement de la langue ´etrang`ere
n’est pas quelque chose qui doit rester myst´erieux, voire arbitraire et incompr´ehensible,
aux apprenants ; et l’approche stylistique fait le pari de la familiarit´e. Cette familiarit´e,
voire complicit´e dans le meilleur des cas, entre l’apprenant et la langue qu’il apprend est
l’horizon que doit viser l’enseignant.
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 22
Ainsi con¸cue, la stylistique se trouve au croisement de plusieurs des approches de
la litt´erature d´efinies en premi`ere partie : la litt´erature comme ´etude de la langue, la
litt´erature comme texte `a analyser, la litt´erature comme initiation `a l’interculturalit´e `a
travers les jeux de connotation, la litt´erature comme plaisir, `a quoi on peut ajouter la
dimension ludique du jeu avec la langue. Mais c’est toujours la langue qui se tient en son
centre.
Stylistique et FLE
La stylistique semble ainsi ˆetre une approche fructueuse des textes litt´eraires en classe
de langue, puisqu’elle permettrait de d´epasser le conflit entre enseignement/apprentissage
de la langue et enseignement/apprentissage de la litt´erature. Pourtant, dans son article
de synth`ese sur « the role of literature in instructed foreign language learning and teaching
»17 qui inclut une section sur la stylistique, Amos Paran souligne `a propos d’articles
sur la stylistique dans l’enseignement d’une langue ´etrang`ere que : « None of the papers
actually tackles the language learning aspect head on ; what the reader is left with is the
feeling that language learning issues are assumed to have been resolved, rather than the
feeling that these are issues that need to be tackled on an ongoing basis in L2 contexts.
(. . .) What is focused on are issues in stylistics analysis, and what seems to be implied
is that language learning issues do not exist. »18 (2008, p.486) Puis il ajoute : « If stylistics
whishes to capture an important place in language learning it will have to address
the issues which language teachers and learners are preoccupied with, and will have to
demonstrate the usefulness of the approach to language teaching. »19 (ibid., p.487). Mais
sa critique de la stylistique dans le contexte de l’apprentissage d’une langue ´etrang`ere est
moins radicale qu’il n’y paraˆıt, puisque prenant en consid´eration deux autres articles, il
reconnaˆıt par ailleurs que « pedagogical considerations are often the same whether the
objective is to teach language or teach literary analysis ; as such stylistics clearly has
much to offer language teachers. »20 (ibid., p.487). Il y a donc une proximit´e certaine
entre l’enseignement d’outils d’analyse litt´eraire et celui de la langue, mais la stylistique
telle qu’elle est pratiqu´ee ou promulgu´ee dans les contextes de L2 a le d´efaut de ne pas
17« le rˆole de la litt´erature dans l’enseignement et l’apprentissage d’une langue ´etrang`ere en milieu
acad´emique », nous traduisons.
18« Aucun des articles n’attaque directement la question de l’acquisition du langage ; le lecteur est
laiss´e avec l’impression que les probl`emes d’acquisition de la langue sont suppos´ees avoir ´et´e r´esolus,
plutˆot qu’avec l’impression que ce sont l`a des probl`emes qui doivent toujours ˆetre affront´es dans le
contexte de L2. (...) Ce qui est au centre de ces articles sont des probl`emes d’analyse stylistique, et ce
qu’ils impliquent est que les probl`emes d’acquisition de la langue n’existent pas », nous traduisons.
19« si la stylistique souhaite prendre une place importante dans l’apprentissage de la langue, elle aura
`a prendre en compte les probl`emes qui pr´eoccupent les professeurs de langue et les apprenants, et elle
aura `a d´emontrer l’utilit´e de cette approche pour l’apprentissage de la langue », nous traduisons.
20« les consid´erations p´edagogiques sont souvent les mˆemes que l’objectif soit d’enseigner la langue ou
d’enseigner les m´ethodes de l’analyse litt´eraire », nous traduisons.
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 23
assez s’adapter `a son public et donc de ne pas assez prendre en compte les besoins des
apprenants.
Ces consid´erations nous am`enent `a ´etablir une diff´erence entre didactique de la stylistique
en FLM et en FLE. Les ´etudiants fran¸cais maˆıtrisent en g´en´eral bien la langue
fran¸caise, et peuvent donc ˆetre imm´ediatement sensibles `a certains effets du texte (par
exemple l’ironie), mˆeme s’ils ne sont pas conscients du fonctionnement mˆeme qui en est
`a l’origine. Pour des apprenants en FLE, des probl`emes de vocabulaire ou de syntaxe
peuvent les empˆecher de bien saisir le sens du texte, ou plus subtilement les connotations
qui sont attach´ees `a certains mots et qui orientent le sens g´en´eral. Le travail sur le vocabulaire,
sa polys´emie et ses connotations doit donc repr´esenter un pan important de
l’analyse stylistique en classe de FLE, alors que ce travail peut ˆetre secondaire en classe
de FLM. De plus, on sait que le lecteur r´eel ne correspond jamais au Lecteur Mod`ele
appel´e par le texte (Eco, 1985, p.61 sq.), et que dif´erents publics actualiseront diff´erents
s`emes du texte en fonction du type d’encyclop´edie et du patrimoine lexical et stylistique
dont ils disposent (p.68). Il en donne l’exemple suivant :
« Etant donn´e la portion textuelle :
(9) Jean entra dans la pi`ece. “Tu es revenu, alors !” s’exclama Marie, radieuse,
il est ´evident que le lecteur doit en actualiser le contenu `a travers une s´erie complexe de
mouvements coop´eratifs. Nous n´egligeons pour l’instant l’actualisation des cor´ef´erences
(c’est `a-dire que l’on doit ´etablir que le [tu] dans l’emploi de la deuxi`eme personne
du singulier du verbe [ˆetre] se r´ef`ere `a Jean), mais, d´ej`a, cette cor´ef´erence est rendue
possible par une r`egle conversationnelle selon laquelle le lecteur admet qu’en l’absence
d’´eclaircissements alternatifs, ´etant donn´e la pr´esence de deux personnages, celui qui
parle s’adresse n´ecessairement `a l’autre. R`egle de conversation qui se greffe sur une autre
d´ecision interpr´etative (...) : [le lecteur] a d´ecid´e, `a partir du texte qui lui est administr´e,
qu’il doit d´eterminer une portion de monde qui est habit´e par deux individus, Jean et
Marie, dot´es de la propri´et´e d’ˆetre dans la pi`ece. Enfin, que Marie soit dans le mˆeme
pi`ece que Jean d´epend d’une autre interf´erence n´ee de l’emploi de l’article d´eterminatif
[la] : on parle bien d’une seule et mˆeme pi`ece. (. . .)
Mais mˆeme si nous n´egligeons tous ces probl`emes, il n’en demeure pas moins que d’autres
mouvements coop´eratifs entrent indubitablement en jeu. En premier lieu, le lecteur doit
actualiser sa propre encyclop´edie de fa¸con `a comprendre que l’emploi du verbe [revenir]
pr´esuppose d’une mani`ere quelconque que le sujet s’est pr´ec´edemment ´eloign´e. En
second lieu, il est demand´e au lecteur un travail inf´erentiel pour tirer de l’emploi de la
conjonction adversative [alors] la conclusion que Marie ne s’attendait pas `a ce retour et
de la d´etermination [radieuse] la certitude qu’elle le d´esirait ardemment.
Le texte est donc un tissu d’espaces blancs, d’interstices `a remplir, et celui qui l’a ´emis
pr´evoyait qu’ils seraient remplis et les a laiss´es en blanc pour deux raisons. D’abord
parce qu’un texte est un m´ecanisme paresseux qui vit sur la plus-value de sens qui y est
introduite par le destinataire (. . .). Ensuite parce que, au fur et `a mesure qu’il passe de
la fonction didactique `a la fonction esth´etique, un texte veut laisser au lecteur l’initiative
interpr´etative (. . .). » (1985, p.63)
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 24
Cet extrait est particuli`erement long, mais nous avons tenu `a le citer en entier, car il
d´etaille bien les op´erations que doit accomplir un lecteur pour comprendre un texte,
celui-ci fˆut-il bref. Or Umberto Eco n’aborde dans cet extrait que des probl`emes purement
linguistiques, qui ne sont pas les seuls `a se poser au lecteur. En effet, le lecteur
doit aussi faire face aux probl`emes de connotation21 et aux probl`emes de carence encyclop
´edique22. Il est ainsi probable que les apprenants m´econnaissent la soci´et´e fran¸caise.
L’´etude stylistique doit alors expliciter les connotations li´ees `a un certain th`eme ou `a
certains personnages, qui peuvent ˆetre tout `a fait claires dans le texte et pourtant ne pas
ˆetre per¸cues par les apprenants. Ils peuvent en effet interpr´eter comme une fantaisie de
l’auteur un ph´enom`ene social comme la place des femmes dans la soci´et´e. La stylistique
peut ainsi ˆetre l’occasion de travailler sur la dimension (inter)culturelle de la litt´erature,
et ce tout particuli`erement en classe de FLE. De mani`ere plus subtile, c’est parfois une
tournure d’esprit ou une mani`ere de penser qui doit faire l’objet d’un traitement sp´ecial.
L’ironie en est peut-ˆetre le ph´enom`ene le plus significatif : elle est tr`es difficile `a rep´erer
pour des apprenants qui ne sont pas familiers avec elle, et est pourtant essentielle `a la
bonne compr´ehension du texte. La mise en ´evidence des r´eseaux de connotations et des
compl´ements d’information culturels sont alors n´ecessaires.
Mais le genre du texte peut aussi poser probl`eme `a l’apprenant, et celui-ci actualisera
d’autant plus de s`emes qu’il est par ailleurs un grand lecteur, qu’il est familier de ce genre
litt´eraire ou bien de ce sujet. Or cette familiarit´e ne peut que manquer `a des apprenants
´etrangers qui n’ont souvent lu que tr`es peu de textes fran¸cais, et encore parfois dans
leur langue d’origine. Ce manque de familiarit´e peut parfois ˆetre combl´e par une bonne
connaissance de la litt´erature de leur pays (les Italiens se familiariseront rapidement avec
la litt´erature de la Renaissance, les Allemands avec le Romantisme, les Anglais avec le
roman policier), mais il y a aussi des mouvements et des courants propres `a chaque pays
(le Nouveau Roman par exemple). Lors de l’analyse du texte, l’enseignant doit donc ˆetre
conscient de ces d´ecalages et proposer des compl´ements d’informations n´ecessaires `a la
bonne compr´ehension du texte.
Pour ne pas devenir st´erile, l’analyse stylistique doit prendre en compte le degr´e de
maˆıtrise de la langue et le degr´e d’actualisation des s`emes du texte. Sinon, l’enseignant
risque de vouloir imposer son interpr´etation du texte `a des apprenants qu’il ne r´eussira
pas `a convaincre. Or l’analyse stylistique doit elle aussi ˆetre un laboratoire lors duquel les
apprenants partent `a la d´ecouverte de la langue et de la litt´erature ´etrang`eres.
21Umberto Eco donne pour exemple la r´eponse « Non » `a la question « Vous fumez ? », r´eponse qui
peut paraˆıtre tout `a fait impolie dans certains contextes. (1985, p.65)
22Par exemple le fait de ne pas connaˆıtre le lac de Cˆome (1985, p.67).
Approches th´eoriques du texte litt´eraire en classe de langue 25
Conclusion
Consid´erer la litt´erature comme un « laboratoire langagier » doit pouvoir permettre de
r´econcilier l’enseignement/apprentissage de la langue avec l’enseignement/apprentissage
de la litt´erature. L’´etude de la litt´erature en tant que lieu de tous les possibles de la
langue est l’occasion pour les apprenants de progresser dans leur maˆıtrise de la langue, en
mˆeme temps qu’ils s’initient `a la culture fran¸caise et en d´ecouvrent le patrimoine. Utilis´ee
dans cette perspective, la stylistique semble ˆetre une m´ethode d’analyse fructueuse pour
atteindre cet objectif. Il ne s’agit pas de former de futurs critiques litt´eraires qui sauront
analyser en d´etail un texte et en proposer toutes les interpr´etations, il s’agit bien plutˆot de
former le regard critique des apprenants sur la langue ´etrang`ere qu’ils apprennent. Cette
langue ne doit pas rester myst´erieuse ou obscure, mais ils doivent pouvoir se familiariser
progressivement avec son fonctionnement et les multiples formes qu’elle peut adopter.
Chapitre 2
Approches m´ethodologiques du texte
litt´eraire en classe de langue
2.1 Enseigner la litt´erature : oui, mais `a quel public
d’apprenants ?
Il est ´evident qu’on ne peut enseigner la litt´erature de la mˆeme mani`ere `a tous les publics.
C’est d’abord le niveau d’apprentissage qui est discriminant, et ce n’est pas un hasard
que la litt´erature soit `a peu pr`es compl`etement absente des manuels de niveau 1. Les textes
litt´eraires sont souvent complexes, que ce soit sur le plan linguistique ou herm´eneutique,
et cette complexit´e contrevient `a la progression r´eguli`ere que les manuels cherchent `a
mettre en place. En 1958, alors que les m´ethodes audio-orales dominaient, Roger Shattuck
d´efendait l’id´ee que la litt´erature devait ˆetre introduite d`es la premi`ere ann´ee « in
the form of literary texts to be memorized. Poems, songs, scenes from plays, and carefully
selected prose passages must be first learned, then dissassembled in question and answer
sequences and other structural manipulations, and finally reassembled through recitation
as units of artistic expression. »1 Pour la seconde ann´ee, il conseillait l’explication de texte
« combining command of the written language, knowledge of the texts read, and use of
critical method. »2 (1958, p.424-425). Cette approche apparaˆıt compl`etement d´esu`ete aujourd’hui,
mais elle souligne bien qu’il y a aussi une progression dans la mani`ere dont la
litt´erature doit ˆetre abord´ee au sein d’une classe de langue ´etrang`ere, et qu’il pourrait
ˆetre possible d’envisager cette progression sur plusieurs ann´ees.
Le deuxi`eme ´el´ement discriminant est l’ˆage des apprenants. La lecture d’un texte
litt´eraire n´ecessite en effet un certain degr´e de maturit´e intellectuelle, et la litt´erature n’est
1« sous la forme de textes litt´eraires `a m´emoriser. Po`emes, chansons, sc`enes de pi`eces de th´eˆatre et
passages de prose soigneusement choisis doivent d’abord ˆetre appris, puis d´econstruits en s´equences de
questions-r´eponses et autres manipulations sur la structure, en enfin reconstruits `a travers la r´ecitation
en tant qu’unit´es d’expression artistique », nous traduisons.
2« combinant la maˆıtrise du langage ´ecrit, la connaissance des textes lus et l’utilisation d’une m´ethode
critique », nous traduisons.
26
Approches m´ethodologiques du texte litt´eraire en classe de langue 27
pas introduite dans le syst`eme ´educatif fran¸cais avant les derni`eres ann´ees du coll`ege. Il
semble donc aller de soi qu’elle ne soit pas propos´ee `a des apprenants de FLE plus jeunes.
La litt´erature de jeunesse leur est plus appropri´ee.
Le troisi`eme ´el´ement discriminant est l’objectif mˆeme que les apprenants souhaitent
atteindre par l’apprentissage du fran¸cais. Si la litt´erature peut ˆetre un atout dans l’apprentissage
d’un ´etudiant d’une universit´e ´etrang`ere qui apprend le fran¸cais autant pour
la langue elle-mˆeme que pour la culture `a laquelle elle est reli´ee, en revanche elle semble
peu propice aux progr`es d’un homme cadre d’entreprise `a qui on a demand´e d’apprendre
la langue en quatre semaines lors d’une formation intensive. La litt´erature ne s’int`egre
pas dans les cursus de fran¸cais sur objectifs sp´ecifiques (FOS), `a moins qu’il ne s’agisse
pr´ecis´ement de futurs chercheurs en lettres.
Enfin, il faut tenir compte de l’origine g´eographique des apprenants et la ou les langues
qu’ils maˆıtrisent. La litt´erature existe dans toutes les civilisations, mais elle peut y prendre
des formes diff´erentes. Une mise au point sur la litt´erature fran¸caise peut donc s’av´erer
n´ecessaire dans certains contextes, avant qu’elle ne soit v´eritablement ´etudi´ee en classe.
Ainsi, on le voit, il ne peut y avoir de dogme en mati`ere d’enseignement de la litt´erature
en contexte de FLE. C’est `a l’enseignant d’adapter son enseignement `a son public, non
seulement en termes de contenu mais aussi en termes de m´ethode. C’est le rˆole que la
litt´erature doit jouer au sein de l’apprentissage qui doit motiver le choix des textes et
l’approche m´ethodologique.
2.2 Les choix m´ethodologiques d’une didactique de
la stylistique
Qu’en est-il de la stylistique ? Dans quels contextes cette approche du texte litt´eraire
peut-elle se r´ev´eler utile ?
Le public d’apprenants
La stylistique, en tant qu’elle est une m´ethode d’analyse de texte litt´eraire, sera une
m´ethode fructueuse pour tous les apprenants qui trouveront une certaine utilit´e `a la
litt´erature. Il faut donc d´ej`a exclure les apprenants de niveau 1 et les enfants. La premi`ere
ann´ee d’apprentissage doit en effet logiquement ˆetre consacr´ee `a l’acquisition des bases
de la communication en langue ´etrang`ere. Quant aux enfants, nous avons d´ej`a mentionn´e
la litt´erature de jeunesse qui leur est plus appropri´ee. De mˆeme, les apprenants tourn´es
vers un usage professionnel du fran¸cais (FOS) gagneront peu `a acqu´erir les techniques de
Approches m´ethodologiques du texte litt´eraire en classe de langue 28
la stylistique, qui s’appliquent difficilement aux textes relevant du fran¸cais des affaires3.
Il en est de mˆeme pour des ´etudiants de sciences sociales qui souhaiteraient apprendre
le fran¸cais pour pouvoir lire des articles non traduits. La litt´erature offre ainsi une codification
du sens, utile `a savoir d´echiffrer pour qui veut acqu´erir une comp´etence de
communication ´etendue en langue ´etrang`ere, inutile pour qui veut simplement pouvoir
parler affaires ou lire des textes scientifiques.
Enfin, en fonction du profil des apprenants (litt´eraires, scientifiques ou plus tourn´es
vers les sciences sociales) et de leur sensibilit´e, du temps dont ils disposent pour apprendre
le fran¸cais, la stylistique peut ˆetre introduite pour r´epondre `a des objectifs divers, et avec
des degr´es divers. En ce qui concerne les objectifs, l’enseignant peut choisir de travailler
sur la lecture (en demandant par exemple aux apprenants de relever les indices de progression
du texte), de travailler sur leur r´eflexivit´e vis-`a-vis de la langue ´etrang`ere par
l’interm´ediaire du commentaire, mais aussi de travailler sur l’expression ´ecrite par le biais
de pastiches, ou encore de viser des objectifs plus sp´ecifiques comme l’acquisition du vocabulaire
en faisant relever tous les s`emes actualisant un th`eme. En ce qui concerne les
degr´es d’analyse, il est possible de se passer de tout m´etalangage, largement inutile pour
des apprenants qui ne poursuivent pas des ´etudes litt´eraires, et de les sensibiliser simplement
`a certains ph´enom`enes langagiers. C’est ce que cherchent `a faire les auteurs de
Reflets dans le dossier 1 lorsqu’`a propos d’un extrait de L’Etranger de Camus, ils posent
les questions suivantes : « Faites la liste des indications de couleur. Quelles sont les couleurs
dominantes ? » « Relevez les verbes de mouvement. A quels aspects du paysage
s’opposent-ils ? Relevez les mots qui ´evoquent la tranquillit´e. Recherchez des contrastes. »
Les apprenants doivent ici ˆetre tr`es attentifs aux mots du texte et relever les mots qui leur
semblent significatifs. Pause-Caf´e en revanche introduit quelques mots de m´etalangage.
Ainsi, les apprenants doivent relever les oxymores du po`eme Libert´e de Paul Eluard (chap.
5, p.150), mais ce mot est au pr´ealable expliqu´e aux apprenants4. Il s’agit ici d’attirer l’attention
des apprenants sur un ph´enom`ene formel particulier au texte et de leur permettre
d’en tirer les cons´equences : « discutez l’effet de ces associations [les oxymores] par rapport
au th`eme du po`eme. ». Le rep´erage d’´el´ements stylistiques ouvre la voie `a l’analyse du
po`eme, en mˆeme temps qu’elle est l’occasion d’analyser un style particulier. Mais le point
commun de toutes ces approches est l’exploration de la langue : ce n’est pas tant l’analyse
elle-mˆeme qui compte, en tant que proc´ed´e logique et rationnel, que les informations
3S’il est possible d’appliquer la stylistique `a des textes relevant du fran¸cais des affaires, cela est tout de
mˆeme moins pertinent que pour la litt´erature. Les textes `a usage professionnel reposent sur un vocabulaire
et des formules tr`es sp´ecifiques qui ne doivent pas pas ˆetre ´equivoques, mˆeme s’il faut souvent savoir lire
entre les lignes. Cela est affaire de lecture, toutefois, et non pas d’interpr´etation, `a la diff´erence du texte
litt´eraire qui ne repose pas sur le sens litt´eral. Les mots peuvent ˆetre polys´emiques ou connot´es, les figures
de style ont un sens second.
4Notons par ailleurs que les auteurs de Pause Caf´e emploient le mot « stylistique » pour introduire
cette s´erie d’activit´es.
Approches m´ethodologiques du texte litt´eraire en classe de langue 29
qu’elle r´ev`ele sur le texte, la langue fran¸caise ou le style d’un auteur. La stylistique doit
ˆetre un instrument d’exploration de la langue et de la litt´erature, `a diff´erents niveaux, en
fonction des besoins et des int´erˆets des apprenants.
Choisir un texte
Le choix du texte litt´eraire `a ´etudier en classe d´epend du public d’apprenants, de leur
niveau en langue ´etrang`ere et de leurs objectifs, mais il d´epend aussi des caract´eristiques
du texte lui-mˆeme. Quatre crit`eres g´en´eraux sont `a prendre en compte.
1. Le premier crit`ere est l’´etranget´e linguistique. Lors des premi`eres ann´ees d’apprentissage
du fran¸cais, les apprenants deviennent progressivement familiers avec le vocabulaire
et la syntaxe utilis´es aujourd’hui dans les conversations courantes. Dans une
perspective de communication, il est en effet logique que l’apprentissage suive une
progression allant du vocabulaire et des structures les plus courants `a ceux les plus
rares. Or non seulement les textes litt´eraires pr´esentent souvent du vocabulaire et des
structures rares, mais en plus, vocabulaire et syntaxe ´evoluent au fil des si`ecles. Le
mod`ele rh´etorique s’´etant affaibli depuis le d´ebut du XXe si`ecle, les enchˆassements
syntaxiques sont moins pr´esents dans les textes les plus r´ecents, tandis que certains
mots et certaines structures syntaxiques courants au XIXe si`ecle sont maintenant
plus rares, voire d´esuets. Cette phrase du Horla de Maupassant en est l’exemple :
« Des ph´enom`enes semblables [aux troubles du cerveau perturbant la logique des
id´ees] ont lieu dans le rˆeve qui nous prom`ene `a travers les fantasmagories les plus
invraisemblables, sans que nous en soyons surpris, parce que l’appareil v´erificateur,
parce que le sens du contrˆole est endormi ; tandis que la facult´e imaginative veille
et travaille. » (6 aoˆut). On remarque ici le grand nombre de conjonctions de subordination
et le caract`ere d´esuet des expressions « fantasmagories » et « appareil
v´erificateur », tous deux propres `a perturber les apprenants. A l’inverse, le th´eˆatre
contemporain, qui reproduit le langage oral avec ses phrases souvent peu complexes
sur le plan syntaxique, et reprend donc les mots de vocabulaire et les structures syntaxiques
acquis par les apprenants lors de leurs premi`eres ann´ees d’apprentissage se
r´ev`ele plus facile `a lire. Ainsi, les textes du XXe si`ecle, et tout particuli`erement le
th´eˆatre, sont les textes qui posent le moins de probl`eme aux apprenants. Ce n’est
donc pas un hasard que sur les dix auteurs les plus lus en classe de FLE selon Franc-
Parler, sept soient des auteurs du XXe si`ecle, les trois derniers appartenant au XIXe
si`ecle5.
5Il s’agit d’Antoine de Saint-Exup´ery, Albert Camus, Jacques Pr´evert, J-M-G. Le Cl´ezio, EE.
Schmidt, Anna Gavalda, Amin Maalouf pour le XXe si`ecle et de Victor Hugo, Charles
Baudelaire et Guy de Maupassant pour le XIXe si`ecle. Voir le site de Franc-Parler :
www.francparler.org/dossier/litterature questionnaire.htm .
Approches m´ethodologiques du texte litt´eraire en classe de langue 30
2. Le second crit`ere est l’´etranget´e r´ef´erentielle. Un texte pr´esente toujours un contenu
th´ematique et celui-ci peut ˆetre plus ou moins familier pour le lecteur/apprenant,
en fonction des exp´eriences qu’il a faites dans la vie, des connaissances qu’il a de
la soci´et´e dont il apprend la langue, mais aussi de ses habitudes de lecture, car
beaucoup de th`emes sont r´ecurrents en litt´erature. Plus le texte ´evoquera des th`emes
´etranges, plus il sera difficile `a comprendre pour le lecteur. Plong´es dans un univers
dont ils ignorent tout, les apprenants ne peuvent en effet pas autant anticiper sur les
´ev´enements ou inf´erer des id´ees `a partir de phrases dont ils ne sont pas sˆurs du sens.
Or, l’´evolution de la soci´et´e et des id´ees au fil du temps tend `a rendre plus complexes
les textes les plus anciens. Ainsi, le roman Dora Bruder de Patrick Modiano, qui
cherche `a retracer l’histoire d’une jeune fille juive `a Paris pendant la seconde guerre
mondiale, parlera plus facilement aux apprenants, surtout s’ils sont europ´eens, que
L’Education sentimentale de Gustave Flaubert qui ´evoque la r´evolution fran¸caise de
1848. En revanche, Demain d`es l’aube. . . de Victor Hugo, ´evoque le th`eme universel
de la douleur apr`es la mort d’un ˆetre cher auquel peuvent ˆetre directement sensibles
les apprenants. L’anciennet´e du texte n’est donc pas enti`erement d´eterminante.
3. Le troisi`eme crit`ere, le plus trivial mais pas le moins important, est la longueur
du texte. Les apprenants en classe de FLE, surtout en niveau 2 d’apprentissage,
lisent encore lentement, ils butent sur certains mots, ne comprennent pas certains
paragraphes imm´ediatement, et cette lenteur peut rendre leur lecture tout `a fait
p´enible. Certains manuels pallient cette difficult´e en ne proposant que des extraits,
souvent tr`es courts, d’oeuvres litt´eraires. Toutefois les extraits pr´esentent plusieurs
d´efauts : sur le plan litt´eraire, il s’agit de textes sortis de leur contexte, ce qui
diminue souvent en grande partie leur richesse ; sur le plan p´edagogique, ils sont
ponctuellement ins´er´es dans un cours, de la mˆeme mani`ere que n’importe quel autre
texte et n’´eveillent pas chez les apprenants l’int´erˆet que peut susciter une oeuvre
int´egrale6. A partir du niveau 2, il semble donc pr´ef´erable de privil´egier les oeuvres
int´egrales, qui font l’objet d’un suivi sur une ou plusieurs semaines7 et que les
apprenants ont ainsi le temps de d´ecouvrir et d’explorer. Les oeuvres int´egrales
ne sont pas toutes tr`es longues, et les po`emes et nouvelles apparaissent comme un
juste milieu entre l’extrait et le roman de plusieurs centaines de pages qui occuperait
un semestre et lasserait les apprenants. En revanche, les pi`eces de th´eˆatre, mˆemes
longues peuvent elles aussi ˆetre ´etudi´ees dans leur int´egralit´e assez facilement, car
elles ne posent pas beaucoup de difficult´es sur le plan linguistique. Il faut ici noter
6Une de mes ´etudiantes de Smith College m’avait demand´e, `a la fin d’une ´etude sur Le Horla si ce texte
´etait aussi ´etudi´e dans les coll`eges et lyc´ees fran¸cais. Elle ´etait tr`es heureuse de savoir qu’elle lisait les
mˆemes textes que les jeunes Fran¸cais. La lecture d’un extrait ne peut pas susciter ce genre de r´eactions.
7A Smith College, les textes ´etaient ´etudi´es sur une moyenne de deux semaines sous forme de lecture
suivie : les apprenants devaient lire une portion du texte pour chaque s´eance, et cette portion ´etait ensuite
´etudi´ee en classe.
Approches m´ethodologiques du texte litt´eraire en classe de langue 31
que les deux premiers crit`eres de l’´etranget´e linguistique et de l’´etranget´e r´ef´erentielle
se combinent avec la longueur du texte, et donc que la difficult´e d’un texte pour
des apprenants ´etrangers doit ˆetre ´evalu´ee en fonction de ces trois crit`eres en mˆeme
temps.
4. Le dernier crit`ere rel`eve directement de la didactique, puisqu’il s’agit de l’insertion
du texte dans un programme, qu’il soit linguistique ou culturel. Les cours de langue
suivent en effet une progression, `a l’int´erieur de laquelle le texte litt´eraire peut
trouver sa place. Dans un cours de niveau 2 `a Smith College, la nouvelle de Claire
de Duras, Ourika, s’inscrivait dans la partie du cours d´evolue aux temps du pass´e.
Outre le th`eme du texte, propre `a int´eresser de jeunes Am´ericains, ce sont aussi ses
propri´et´es grammaticales qui ont pouss´e les enseignants `a choisir ce texte. De mˆeme,
dans Reflets 2, un extrait de Un Hiver en Bretagne de Michel le Bris vient compl´eter
une double page « Civilisation » consacr´ee `a la Bretagne. Le texte s’int`egre ici `a un
dossier culturel. Mais ce programme peut aussi ˆetre linguistique, plus que strictement
grammatical, auquel cas c’est la complexit´e du texte sur le plan linguistique et
stylistique qui sera d´eterminant.
Ces quatre crit`eres s’appliquent `a la stylistique au mˆeme titre qu’aux autres approches
du texte litt´eraire en classe de FLE. Toutefois c’est le premier crit`ere de l’´etranget´e linguistique
qui doit primer, car si la litt´erature est un laboratoire langagier, les textes les
plus pertinents sont ceux qui offrent le plus de perspectives d’exploitation linguistique.
Il ne s’agit pas de valoriser les sp´ecificit´es grammaticales du texte, comme l’emploi des
temps du pass´e dans Ourika, mais ses sp´ecificit´es discursives, comme la mise en valeur
du discours de l’´emotion ou de la raison, le d´ecalage entre sens litt´eral et sens figur´e,
le non-dit, la polyphonie, ou encore les formes de l’humour ou de l’ironie. La stylistique
s’int´eresse au discours, `a la mise en forme du sens au sein du langage. Au niveau 2, on
pourra ainsi travailler sur la diff´erence entre le sens litt´eral et le sens figur´e `a travers l’´etude
des images et des connotations associ´ees `a certains mots. Vol de nuit de Saint-Exup´ery,
Moderato Cantabile De Marguerite Duras ou des po`emes comme Le pont Mirabeau de
Guillaume Apollinaire et Page d’´ecriture de Jacques Pr´evert peuvent ˆetre analys´es dans
cette perspective. On remarquera que tous les textes ici nomm´es sont relativement courts,
afin que les apprenants aient le temps de les lire tranquillement et de les ´etudier en classe.
Au niveau 3, on pourra introduire des textes plus longs et plus complexes, mettant en
sc`ene un style tr`es nettement identifiable, permettant aux apprenants de bien identifier
les diff´erentes formes que peut adopter la langue fran¸caise. Ainsi Le Horla de Maupassant
peut ˆetre ´etudi´e sous l’angle de l’opposition entre discours de la raison et discours de
l’´emotion, Hygi`ene de l’Assassin d’Am´elie Nothomb `a travers l’angle de l’ironie, Oh, les
beaux jours ! de Beckett `a travers le prisme de l’absurde. Aux niveaux sup´erieurs, l’´etude
pourra se focaliser sur des notions plus complexes, comme la polyphonie avec les textes
Approches m´ethodologiques du texte litt´eraire en classe de langue 32
de Flaubert, la dichotomie de l’ombre et de la lumi`ere dans la civilisation fran¸caise avec
les textes de Victor Hugo ou encore la non-fiabilit´e d’un narrateur avec Le Ravissement
de Lol V. Stein de Marguerite Duras.
Le crit`ere de l’´etranget´e r´ef´erentielle n’est toutefois pas absent de la perspective stylistique,
car celle-ci s’int´eresse tout autant au contenu qu’`a la mise en forme de ce contenu en
mots. L’attention au style du texte peut alors ˆetre l’occasion d’´evoquer les connotations
li´ees `a certains mots ou th`emes et donc d’initier les apprenants `a la culture fran¸caise. Mais
le choix du texte doit aussi tenir compte de leurs goˆuts, afin qu’ils aient du plaisir `a lire.
Quant aux deux derniers crit`eres, ils jouent le mˆeme rˆole dans le cadre de la stylistique
que dans le cadre d’autres approches du texte litt´eraire. Seulement, le programme dans
lequel s’int`egre les textes litt´eraires, peut reposer sur le crit`ere du discours, plutˆot que sur
des crit`eres grammaticaux ou culturels.
M´ethode d’exploitation stylistique
Introduire un texte en classe de FLE n´ecessite plus de pr´ecautions que dans une classe
de coll`ege ou de lyc´ee fran¸cais. Car `a la diff´erence d’´el`eves en classe de FLM, les apprenants
de FLE ont besoin d’ˆetre accompagn´es dans leur lecture. Avant toute exploitation
stylistique du texte, le moment de la lecture est donc particuli`erement important, qu’il
s’agisse d’une lecture/d´ecouverte en classe ou que les apprenants aient `a lire le texte chez
eux. Cette lecture peut ˆetre suivie d’un moment d’expression orale libre pendant laquelle
les apprenants commentent leur lecture (le texte ´etait-il facile ? difficile ? qu’ont-ils aim´e ?
moins aim´e ?). Ce moment permet `a l’enseignant d’adapter les activit´es qui suivent aux
besoins r´eels des apprenants.
Lors de la phase d’exploitation stylistique du texte, l’enseignant doit attirer l’attention
des apprenants sur un ph´enom`ene discursif qui lui paraˆıt majeur dans le texte. L’id´ee
que la litt´erature est un « laboratoire langagier » doit en effet inviter les apprenants `a
rechercher comment le sens a ´et´e ´elabor´e dans le texte. Au d´ebut de l’ann´ee ou lors de
la premi`ere introduction du texte litt´eraire, il peut alors ˆetre utile de refaire l’exercice de
Julien Gracq sur « La marquise sortit `a cinq heures. » avec une phrase plus simple, comme
« J’ai longtemps rˆev´e d’´ecrire. » (titre d’un essai de Julien Green). L’enseignant peut alors
proposer les phrases suivantes aux apprenants et leur demander quelle est la diff´erence de
sens avec la phrase initiale : « J’ai parfois rˆev´e d’´ecrire. » ; « Je rˆeve d’´ecrire. » ; « J’ai
longtemps voulu ´ecrire. » Il est n´ecessaire que les apprenants prennent conscience du
fait que la langue n’est pas arbitraire8 et que le choix des mots et leur organisation sont
extrˆemement significatifs. Aux niveaux les plus avanc´es, il est aussi possible de proposer
8Je ne parle bien ´evidemment pas de l’arbitraire du signe mis en ´evidence par Roman Jakobson, mais
de l’absence d’arbitraire dans le choix et l’agencement des mots par l’´ecrivain.
Approches m´ethodologiques du texte litt´eraire en classe de langue 33
quelques brouillons de textes que les apprenants peuvent comparer avec le texte final auquel
a abouti l’´ecrivain. Cette initiation `a l’attention minutieuse aux mots est d’autant
plus importante que les apprenants n’ont peut-ˆetre jamais envisag´e un texte d’un point
de vue stylistique9. Cette id´ee d’absence d’arbitraire du langage est fondamentale pour
que les apprenants puissent r´eussir `a produire leurs propres analyses stylistiques10.
Les analyses stylistiques en tant que telles n’ont pas pour objectif de viser `a l’explication
de texte, mais de montrer comment le texte est organis´e `a partir d’un ph´enom`ene
linguistique majeur qui permet de relier forme linguistique et sens herm´eneutique, et
d’observer certains m´ecanismes de la langue. Il est tout `a fait possible que les apprenants
remarquent d’eux-mˆemes ce ph´enom`ene linguistique et que l’´etude parte de leurs
remarques. Ainsi, lors d’une ´etude d’Hygi`ene de l’Assassin d’Am´elie Nothomb, mes apprenants
ont ´et´e directement sensibles `a l’ironie du texte. L’analyse stylistique ne doit
pas prendre la forme d’un cours magistral sur le style du texte ou des ph´enom`enes linguistiques
particuliers, mais rendre les apprenants actifs dans leur apprentissage. Si la
litt´erature est un « laboratoire langagier », ils doivent ˆetre des chercheurs travaillant dans
ce laboratoire. C’est en travaillant eux-mˆemes sur le texte qu’ils retiendront le mieux les
d´ecouvertes langagi`eres qu’ils ont faites. Les travaux de groupe sont donc une composante
indispensable de cette approche. L’enseignant doit guider les apprenants, et les aider le cas
´ech´eant, mais il ne doit pas substituer son discours `a celui des apprenants. La didactique
de la stylistique s’int`egre dans une perspective communicative, o`u les apprenants doivent
communiquer entre eux, s’entraider pour parvenir `a produire une analyse du texte.
Pour chaque texte, l’´etude portera sur le ph´enom`ene unique choisi par l’enseignant.
Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas d’autres ´el´ements linguistiques int´eressants dans le
texte, mais simplement que les autres ´el´ements sont moins significatifs dans la double perspective
d’une initiation `a la litt´erature et d’une progression dans la maˆıtrise de la langue
fran¸caise. Car l’objectif de long terme est bien de permettre aux apprenants d’am´eliorer
leurs comp´etences de communication en langue fran¸caise, non pas d’en faire des sp´ecialistes
de litt´erature. Par ailleurs, il faut rappeler que l’´etude stylistique peut ˆetre combin´ee avec
une approche interculturelle qui s’appuierait sur certains th`emes d´evelopp´es dans le texte.
Pour que l’´etude stylistique soit pleinement profitables aux apprenants, elle doit ´egalement
mener `a la cr´eation. Dans une seconde phase du travail, les apprenants doivent ainsi
s’approprier eux-mˆemes cette id´ee de « laboratoire langagier » et ´ecrire des textes `a partir
des ´el´ements stylistiques relev´es dans les textes ´etudi´es. C’est l`a pour l’enseignant une
9Je me souviens qu’au d´ebut du semestre, lorsque je demandais `a mes ´etudiants de Smith College de
relever des expressions ou des mots exprimant une id´ee sp´ecifique, ils me r´epondaient en r´esumant les
id´ees du texte. Ils n’arrivaient pas `a relever des expressions ou mots du texte.
10Il est tout `a fait possible que les apprenants soient tout `a fait conscients de cette absence d’arbitraire
linguistique, surtout s’ils ont suivi des ´etudes de litt´erature.
Approches m´ethodologiques du texte litt´eraire en classe de langue 34
mani`ere de v´erifier que les apprenants ont bien assimil´e le contenu de l’enseignement, et
pour les apprenants l’occasion de mettre en pratique ce qu’ils ont appris, et ainsi de mieux
l’assimiler.
Conclusion
Dans la mesure o`u elle allie analyse litt´eraire et expression ´ecrite, la didactique de la
stylistique associe ainsi explicitement enseignement/apprentissage de la langue et enseignement/
apprentissage de la litt´erature, tout en s’inscrivant dans la perspective actionnelle
qui domine aujourd’hui l’enseignement du FLE. La lecture et l’analyse d’un texte
litt´eraire m`enent `a l’´ecriture, donc `a la r´ealisation d’une tˆache, qui se veut ludique en
mˆeme temps qu’utile sur le plan p´edagogique. L’analyse litt´eraire ne conduit donc pas
`a l’exercice intellectuel de l’explication de texte, mais doit permettre `a l’apprenant de
d´ecouvrir diff´erentes facettes de la langue fran¸caise, utiles `a son apprentissage de locuteur
du fran¸cais, tout en s’initiant `a la culture fran¸caise.
Chapitre 3
S´equences p´edagogiques
Nous proposons dans cette troisi`eme partie quatre s´equences d’activit´es illustrant le
point de vue th´eorique que nous avons d´evelopp´e pr´ec´edemment. Ces quatre s´equences
sont centr´ees sur un ou plusieurs textes litt´eraires, relativement courts, ´etudi´es principalement
dans leur int´egralit´e. Les deux premi`eres s´equences ont ´et´e con¸cues pour des
apprenants de niveau 2, les deux suivantes pour des apprenants de niveau 3. A l’exception
de la premi`ere s´equence, ces activit´es ont ´et´e mises en place `a Smith College dans
des cours de niveau 3 que nous avons enseign´es lors de l’ann´ee scolaire 2008-2009. Elles
ont toutefois parfois ´et´e adapt´ees `a d’autres niveaux ou l´eg`erement remani´ees pour mieux
illustrer la th`ese que nous d´efendons ici.
S´equence 1 : Page d’´ecriture de Jacques Pr´evert
Cette premi`ere s´equence est consacr´ee `a l’´etude du po`eme de Jacques Pr´evert intitul´e
Page d’´ecriture1. Elle est propos´ee aux apprenants dans une double perspective : les initier
`a la m´ethode d’analyse stylistique (et notamment, leur donner l’habitude de relever des
mots ou des expressions du texte pour les commenter) ainsi qu’`a la notion de symbole `a
travers l’opposition entre sens litt´eral et sens figur´e.
Nous avons choisi ce po`eme parce qu’il peut faire l’objet d’une analyse int´eressante,
tout `a fait accessible `a des apprenants de niveau 2. En effet, Page d’´ecriture ne pose
pas de difficult´es sur le plan linguistique, `a l’exception de certaines expressions que les
apprenants ignorent probablement comme « foutre le camp », « ne faire ni une ni deux »,
« faire le pitre », et de la valeur de cons´equence de « et », qui pourront faire l’objet d’une
br`eve explication. De mˆeme, sur le plan discursif, il est simple et facile `a comprendre
pour des apprenants de niveau 2. Le po`eme met toutefois en oeuvre un r´eseau complexe
d’oppositions qui permet d’initier les apprenants `a la notion de symbole et de les faire
p´en´etrer dans l’imaginaire fran¸cais.
1Le texte int´egral du po`eme est propos´e en Annexe 1.
35
S´equences p´edagogiques 36
Cette s´equence peut ˆetre mise en place en d´ebut d’ann´ee en guise d’initiation `a la
m´ethode stylistique sur un texte qui ne pose pas beaucoup de probl`emes de compr´ehension.
Une `a deux heures de cours peuvent lui ˆetre consacr´ees. Les d´efenseurs de la stylistique
trouveront peut-ˆetre que l’activit´e d’exploitation n’est pas assez dense et ne met pas en
oeuvre suffisamment d’outils stylistiques, car le m´etalangage li´e `a l’´etude stylistique a
ici volontairement ´et´e mis de cˆot´e. Mˆeme l’id´ee de champ lexical doit rester implicite,
puisqu’il s’agit ici de focaliser l’attention des apprenants sur le vocabulaire employ´e par
le po`ete, sans introduire de notions qui pourraient les perturber plus que les aider. Le
public vis´e ´etant des apprenants de niveau 2, pas n´ecessairement sp´ecialistes de litt´erature,
il nous est apparu inutile, voire contraire `a l’efficacit´e, de proposer une s´equence qui
serait ouvertement centr´ee sur l’analyse litt´eraire, alors que son objectif est d’aider les
apprenants `a progresser dans leur maˆıtrise de la langue.
Activit´e d’introduction au texte
Avant mˆeme de donner le po`eme `a lire aux apprenants, l’enseignant demande aux
apprenants quelles sont les images ou notions qu’ils associent spontan´ement avec la figure
de l’oiseau. Tous les noms ´enonc´es par les apprenants peuvent ˆetre ´ecrits dans un
coin du tableau de la salle de classe. Cette activit´e sera d’autant plus int´eressante que
les apprenants sont issus d’origines g´eographiques, ethniques ou sociales diff´erentes, car
elle sera alors l’occasion d’une discussion lors de laquelle les apprenants compareront les
diff´erentes images qui leur viennent `a l’esprit.
Lecture
L’enseignant distribue le texte du po`eme aux apprenants pour qu’ils le lisent silencieusement,
puis il demande `a un apprenant volontaire de le lire `a voix haute. Ainsi,
l’enseignant s’assure que les apprenants ont lu le texte deux fois, et si le cas se pr´esente, il
peut corriger un d´efaut de prononciation, et expliquer quelques mots de vocabulaire selon
les besoins des apprenants. Il les laisse ensuite par groupes de deux ou trois discuter des
´ev´enements ´evoqu´es par le po`eme.
Phase d’exploitation stylistique
L’enseignant distribue aux apprenants une fiche pr´esentant deux tableaux, centr´es
chacun sur un des deux grands personnages du po`eme que sont l’oiseau et le maˆıtre. Par
groupes de deux ou trois, les apprenants doivent alors remplir les tableaux suivants en
associant des mots du po`eme avec chacun des deux personnages.
S´equences p´edagogiques 37
Au bout d’une petite dizaine de minutes, l’enseignant dessine les deux tableaux sur
le tableau de la salle de classe et y inscrit les mots relev´es par les apprenants, en leur
demandant de justifier leur choix de mot. Cette justification n’a pas besoin d’ˆetre tr`es
pr´ecise, mais elle doit obliger les apprenants `a motiver leurs id´ees et `a les exprimer le plus
clairement possible. Le cas ´ech´eant, l’enseignant peut refuser un mot, ou celui-ci peut ˆetre
contest´e par d’autres apprenants.
On peut alors aboutir aux tableaux suivants (d’autres mots peuvent ˆetre relev´es, mais
nous avons indiqu´e ici les plus importants pour la phase d’interpr´etation qui suivra) :
S´equences p´edagogiques 38
Sur le plan linguistique, quelques expressions m´eritent d’ˆetre rappel´ees aux apprenants,
comme la diff´erence entre entendre et ´ecouter, qui implique ici une progression
dans la dissipation des ´el`eves. L’enseignant peut ainsi demander aux apprenants pourquoi
entendre apparaˆıt avant ´ecouter dans le texte. Il sera ´egalement int´eressant d’expliquer le
jeu de mots sur oiseau-lyre, expression qui d´esigne un grand passereau d’Australie, mais
qui souligne aussi la connivence entre l’oiseau et la musique par le biais de l’instrument
de musique. L’analyse stylistique doit ainsi ˆetre l’occasion de progresser dans la maˆıtrise
du vocabulaire.
Une fois que les tableaux ont ´et´e remplis, l’enseignant divise la classe en deux groupes
et pose au premier groupe la s´erie de questions suivante :
– Quel est le type de sons ´emis par le maˆıtre ? par l’oiseau ?
– Ces deux types de sons sont-ils consid´er´es de la mˆeme mani`ere par les enfants ?
pourquoi ?
et au second groupe les questions :
– Quel est le type d’actions r´ealis´e par le maˆıtre ? par l’oiseau ?
– Quelles actions sont les plus positives ? pourquoi ?
Les apprenants doivent ici mettre en relief l’opposition entre la figure du maˆıtre, qui ne
fait que r´ep´eter les mˆemes mots sans aboutir `a l’effet escompt´e (faire apprendre `a des
´el`eves disciplin´es les tables de multiplication), et celle de l’oiseau dont la pr´esence est un
v´eritable agent, bien plus puissant que le maˆıtre.
Conclusion de l’analyse
A la fin de ces deux s´eries de questions, l’enseignant demande aux apprenants par
groupes de deux ou trois de choisir deux symboles auxquels l’oiseau est associ´e dans le
S´equences p´edagogiques 39
po`eme. Plusieurs r´eponses peuvent ici ˆetre suscit´ees de la part des apprenants : la musique,
le jeu, la libert´e, la destruction de l’ordre, ou encore la nature. L’enseignant demande alors
aux apprenants de se rappeler du symbolisme auquel ils avaient spontan´ement pens´e
au d´ebut de la s´equence lors de l’activit´e pr´eliminaire et de rapprocher ou d’opposer
ce symbolisme avec celui qu’ils ont d´ecouvert dans le po`eme. Enfin, il conclut sur le
symbolisme de l’oiseau dans la soci´et´e fran¸caise, et sur la notion d’´ecole buissonni`ere,
qui s’oppose l’´ecole comme institution enfermante. Les images de l’´ecole v´ehicul´ees par
la litt´erature fran¸caise sont en effet largement ambigu¨es. Cela peut alors ˆetre l’occasion
d’un d´ebat parmi les apprenants sur leur vision de l’´ecole.
Travail conclusif
Comme exercice de conclusion de la s´equence, l’enseignant demande aux apprenants
de r´e´ecrire le po`eme en modifiant tous les mots relev´es dans le tableau consacr´e `a l’oiseau.
Les apprenants doivent alors proposer une autre figure qui leur semble mieux symboliser
la libert´e, le jeu, la nature, en fonction de ce qui leur apparaˆıt comme le symbole le plus
fort dans le po`eme, et indiquer quel serait le pouvoir de cette figure en changeant les
verbes qui ´evoquent son action. De cette fa¸con, les apprenants doivent se r´eapproprier la
notion de symbole, et travailler au sein de champs lexicaux pour remplacer ceux qui ont
´et´e mis en place dans le po`eme. En fonction du temps disponible en classe, ce travail peut
avoir lieu lors d’une heure de classe ou en dehors. Les apprenants volontaires pourront
lire leur po`eme lors de la s´equence suivante.
Remarques g´en´erales
Le choix de l’objet de la s´equence, l’opposition entre la figure de l’oiseau et celle du
maˆıtre, ´etait li´e `a une double contrainte : la premi`ere ´etait celle d’aider les apprenants `a
progresser dans leur maˆıtrise du fran¸cais ; la seconde de relier le sens et le fonctionnement
du po`eme, afin que l’´etude soit ´egalement int´eressante en terme de contenu.
Quant au choix de la m´ethode, ici le tableau, il doit forcer les apprenants `a relever des
mots pr´ecis du texte, plutˆot que d’en ´enum´erer simplement les id´ees. L’enseignant doit
r´eussir `a susciter chez les apprenants le r´eflexe de relever les mots significatifs, au lieu de
se contenter d’en extraire l’id´ee g´en´erale et vague. Car c’est cette attention aux mots qui
doit permettre aux apprenants de progresser dans leur maˆıtrise du vocabulaire et plus
g´en´eralement de la langue.
Cette ´etude permet aussi de souligner le lien entre linguistique et culture, puisque
l’´etude stylistique permet de mettre au jour certaines id´ees pr´esentes dans la soci´et´e
fran¸caise et d’ouvrir un d´ebat interculturel sur les diff´erentes notions attach´ees `a l’oiseau
et `a l’´ecole dans les diff´erentes soci´et´es.
S´equences p´edagogiques 40
S´equence 2 : Moderato Cantabile de Marguerite Duras
Cette seconde s´equence s’adresse exactement au mˆeme public que la premi`ere : un
groupe d’apprenants en classe de FLE de second niveau. Elle peut ˆetre mise en place
juste apr`es la premi`ere s´equence qui devait fonctionner comme une inititation `a la m´ethode
stylistique, ainsi qu’`a la diff´erence entre sens litt´eral et sens figur´e. L’analyse de ce court
roman de Marguerite Duras sera donc centr´e sur six motifs qui fonctionnent comme de
v´eritables leitmotives tout au long du texte, et qui ont valeur de symbole pour mieux
comprendre l’´evolution de la relation entre les deux personnages principaux : la bourgeoise
Anne Desbaresdes et l’ouvrier Chauvin. A nouveau, il s’agit de forcer les apprenants `a ˆetre
tr`es attentifs aux mots du texte, et `a ´etudier comment une ´evolution dans la formulation
implique une ´evolution du rapport entre les choses.
Ce roman est compos´e de huit chapitres, sensiblement de mˆeme longueur (12 `a 14
pages dans l’´edition Minuit), qui pourront chacun faire l’objet d’une heure de cours. Le
texte n’est pas tr`es compliqu´e sur le plan linguistique et discursif, toutefois certains mots
de vocabulaire comme mˆole et hˆetre, r´ecurrents dans le texte, poseront n´ecessairement
probl`eme aux apprenants. Cette difficult´e peut toutefois ˆetre lev´ee grˆace `a des fiches de
vocabulaire distribu´ees aux apprenants. Mais une autre difficult´e, moins perceptible pour
un enseignant, r´eside dans les dialogues. En effet, Marguerite Duras n’indique pas toujours
quel est le personnage qui parle, et si l’indentification du locuteur est assez claire pour
un natif de la langue fran¸caise, tel n’est pas le cas pour des apprenants ´etrangers. Lors
de l’´etude de ce texte `a Smith College (2008-2009), mes ´etudiants avaient eu beaucoup de
mal `a identifier les locuteurs de certaines tirades. Il est donc utile de v´erifier au d´ebut de
chaque cours que les apprenants ont bien compris quel est le propos du chapitre lu.
Introduction au texte
Avant que les apprenants ne commencent leur lecture du texte, l’enseignant pr´esente le
personnage principal, Anne Desbaresdes, jeune femme bourgeoise dont l’unique distraction
est de conduire son fils `a ses le¸cons de piano, activit´e ´eminemment bourgeoise elle aussi. Le
roman se d´eroule en effet probablement dans les ann´ees 1950, dans la r´egion de Bordeaux,
et il est peu probable que les apprenants soient d’eux-mˆemes sensibles au drame social
mis en sc`ene par Marguerite Duras. Or les notions de d´esir et de transgression qui seront
´etudi´es ensuite au travers des symboles ne peuvent ˆetre pleinement compris sans prendre
en compte l’opposition de classe sociale entre Anne Desbaresdes et Chauvin. Si la notion
de classe sociale structure la soci´et´e fran¸caise, ce n’est pas le cas dans d’autres soci´et´es o`u
cette notion est remplac´ee par une autre, comme la notion de race aux Etats-Unis. Il est
donc utile, `a la fois dans la perspective d’une bonne compr´ehension du r´ecit, et dans celle,
interculturelle, de la d´ecouverte du fonctionnement de la soci´et´e fran¸caise (la notion de
S´equences p´edagogiques 41
classe sociale est encore tr`es pr´esente aujourd’hui, mˆeme si les classes sociales elles-mˆemes
ne sont plus aussi rigides qu’avant) que l’enseignant donne ces informations sur le texte
et ses personnages.
L’enseignant pr´esente ´egalement la m´ethode de travail : les apprenants auront `a lire
un chapitre du texte pour chaque cours (´eventuellement deux chapitres, si le cours n’a lieu
qu’une seule fois par semaine), et `a tenir un journal de bord qu’ils rempliront au cours
de leur lecture, et compl`eteront en classe. Ainsi, lors de leur lecture, ils devront recopier
les passages ou noter des expressions qui mentionneront un des six motifs suivants : la
musique, le cri de la femme morte, le vin, l’invention, les mains d’Anne ou de Chauvin,
le magnolia, en pr´ecisant les num´eros de page. Il est donc conseill´e aux apprenants de
diviser une page en six parties et d’y indiquer les six motifs :
Chapitre . . .
• La musique :
• Le cri de la femme morte :
• Le vin :
• L’invention :
• Les mains d’Anne ou de Chauvin :
• Le magnolia :
Ces six motifs ne sont pas tous pr´esents `a chaque chapitre, mais ils r´eapparaissent tous
r´eguli`erement au fur et `a mesure que le texte progresse, et c’est cette progression qui sera
au coeur de l’analyse stylistique.
Lecture
A la diff´erence de la lecture du po`eme de Jacques Pr´evert dans la s´equence pr´ec´edente,
les apprenants doivent lire chaque chapitre du roman chez eux, entre deux cours. Toutefois,
une fiche explicatrice peut ˆetre bienvenue, pour expliquer aux apprenants des mots
de vocabulaire qu’ils sont susceptibles de ne pas connaˆıtre.
Au d´ebut de chaque s´eance, avant de commencer la phase d’analyse du texte, l’enseignant
doit donc s’assurer que les apprenants ont bien compris le texte, soit en posant des
questions de compr´ehension, soit en demandant `a un apprenant de r´esumer les ´ev´enements
du chapitre.
Phase d’exploitation stylistique
L’enseignant demande aux apprenants par groupes de deux ou trois de comparer les
relev´es qu’ils sont faits chez eux sur les six motifs, et de compl´eter le cas ´ech´eant leur
propre relev´e. L’enseignant divise alors la classe en petits groupes et demande `a chacun
S´equences p´edagogiques 42
d’´etudier un motif sp´ecifique. Ces r´eflexions de groupe doivent encourager les apprenants
`a discuter sur le texte. Plusieurs types d’analyse sont alors possibles : soit l’enseignant
demande aux apprenants de comparer deux motifs au sein d’un mˆeme chapitre (comme le
motif de la musique et le motif du cri dans le premier chapitre), soit de comparer le mˆeme
motif sur plusieurs chapitres diff´erents (comme le motif de l’invention dans les chapitres
2 et 3 ou 3 et 4). L’enseignant peut encore proposer de comparer la pr´esence d’un motif
dans un chapitre avec l’interpr´etation qu’en a propos´e Peter Brook dans sa mise en sc`ene
du roman, avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo dans les rˆoles principaux (1960).
Cette comparaison peut ˆetre tout `a fait fructueuse pour le motif du vin des chapitres 2 et
7, qui occupent la seconde s´equence et une partie de la cinqui`eme s´equence du film. Mes
apprenants de Smith College ´etaient particuli`erement demandeurs d’une variation dans
le rythme et le sch´ema des s´eances de cours, c’est pourquoi nous proposons ces diff´erentes
perspectives d’analyse. Toutefois, l’objectif reste bien le mˆeme : il s’agit de rendre les
apprenants sensibles aux r´eseaux de signification qui se tissent autour des motifs centraux
de ce roman de Marguerite Duras, et donc de les rendre `a la fois plus actifs dans leur
lecture et plus actifs dans leur apprentissage de la langue : l’´etude de ces motifs, de la place
et de la forme qu’ils prennent dans le texte et de leur ´evolution au fil des chapitres doit
leur permettre de mieux comprendre le lien entre forme linguistique et sens herm´eneutique
en fran¸cais.
Nous proposons ainsi pour les diff´erents chapitres :
• Chapitre 1 : ´etude compar´ee des motifs de la musique et du cri (relev´e des occurrences
pour chaque motif et comparaison des deux relev´es obtenus)
• Chapitre 2 : ´etude des motifs du vin et de l’invention (relev´e des occurrences et analyse
de chacun des relev´es s´epar´ement + visionnement d’un extrait du film correspondant
au chapitre 2)
• Chapitre 3 : ´etude compar´ee des motifs du vin et de l’invention avec le chapitre 2
(relev´e des occurrences et comparaison de l’´evolution des motifs avec le chapitre 2)
• Chapitre 4 : ´etude compar´ee des motifs du vin, de l’invention et des mains, avec les
chapitres 2 et 3 (relev´e des occurrences et comparaison de l’´evolution des motifs
avec les chapitres 2 et 3)
• Chapitre 5 : ´etude compar´ee du motif de la musique avec le chapitre 1 (relev´e des
occurrences et comparaison de l’´evolution des motifs avec le chapitre 1)
• Chapitre 6 : ´etude compar´ee des motifs du vin et de l’invention avec les chapitres
2, 3 et 4 (relev´e des occurrences et comparaison de l’´evolution des motifs avec les
chapitres 2, 3 et 4)
• Chapitre 7 : ´etude compar´ee des motifs du vin et du magnolia avec les chapitres 2,
3, 4 et 6 (relev´e des occurrences et comparaison de l’´evolution des motifs avec les
S´equences p´edagogiques 43
chapitres 2, 3, 4 et 6 + visionnement d’un extrait du film correspondant au chapitre
7)
• Chapitre 8 : ´etude compar´ee du motif des mains avec les chapitres 2 et 6 et du motif
du cri avec le chapitre 1
Les apprenants doivent faire chez eux relever les occurrences de chacun des six motifs
pour chaque chapitre, mˆeme si tous les motifs ne sont pas ´etudi´es en classe lors de chaque
s´eance. Certains relev´es pourront servir lors de s´eances suivantes. On remarquera ainsi
que les motifs ne sont pas tous ´etudi´es en classe au sein du mˆeme ensemble (par exemple,
musique et cri ), mais que chaque motif est ´etudi´e avec des motifs diff´erents selon les
chapitres, ce qui tend `a souligner la relation et l’imbrication des six motifs entre eux.
Les analyses en classe doivent partir des relev´es faits par les apprenants. Il est probable,
toutefois, que les apprenants ne soient pas sensibles `a tous les ph´enom`enes linguistiques
qui composent un motif, et qu’ils rel`event principalement des mots de vocabulaire.
Pour compl´eter cette ´etude, l’enseignant devra alors attirer l’attention des apprenants sur
d’autres ph´enom`enes, comme des constructions syntaxiques ou des emplois verbaux. C’est
le motif de l’invention qui pose le plus de difficult´es `a cet ´egard. Outre les verbes d´enotant
l’invention, comme j’imagine ou j’invente, les apprenants pourront progressivement ˆetre
sensibilis´es `a l’emploi des n´egations (je ne sais) et du conditionnel d’incertitude. Mais si
le motif de l’invention est le plus difficile `a analyser pour les apprenants, c’est aussi le
plus stimulant en terme d’apprentissage de la langue. Ces diff´erents marqueurs lexicaux
et syntaxiques sont en effet souvent pr´esents dans les articles de presse, et l’enseignant
pourra proposer l’´etude d’un article de journal `a l’issue de l’´etude de Moderato Cantabile.
Conclusion de l’analyse
Au terme de l’analyse, les apprenants doivent avoir une vue d’ensemble de la pr´esence
de ces six motifs et de leurs relations. L’enseignant propose alors une s´eance de synth`ese,
o`u les apprenants sont r´epartis en six groupes charg´es chacun de travailler sur un motif
diff´erent. Chaque groupe doit dessiner un cercle, au centre duquel ils inscrivent le motif
qui leur a ´et´e attribu´e. Tout autour de ce cercle central, ils doivent dessiner d’autres
cercles, plus petits et reli´es au cercle principal par un trait. Chaque cercle secondaire doit
indiquer les id´ees (symboles, notions, ´ev´enements, motifs) auxquelles le motif central est
associ´e. Chaque groupe vient ensuite pr´esenter son graphique devant le reste de la classe
et d´efendre les id´ees qu’il a choisies.
Cette activit´e de bilan doit permettre aux apprenants de faire la synth`ese des id´ees
qu’ils ont rencontr´ees et d´evelopp´ees au cours de l’analyse du texte. Elle doit aussi mettre
en ´evidence le lien de figuration entre le symbole et les id´ees qu’il symbolise, et enfin,
obliger les apprenants `a reprendre le vocabulaire important du texte.
L’enseignant pourra conclure sur les connotations qui sont associ´ees `a certains motifs
S´equences p´edagogiques 44
au sein de la soci´et´e fran¸caise : la sensualit´e des fleurs, l’ivresse lib´eratrice du vin. L’´etude
stylistique d’un texte ne doit pas se refermer sur ce texte, mais ouvrir sur la culture et la
soci´et´e fran¸caise pour pouvoir ˆetre pleinement utile `a des apprenants de FLE.
Exercice conclusif
Pour conclure la s´equence, l’enseignant demande aux apprenants de r´ediger la synth`ese
de la pr´esence ou de l’´evolution d’un des six motifs, ou bien de proposer une analyse sur un
autre motif auquel ils auraient ´et´e sensibles dans le texte2. Ils peuvent reprendre ce qu’ils
ont fait lors de la derni`ere s´eance de cours sur un motif particulier, ou bien d´evelopper un
autre motif qui leur a plus particuli`erement plu. Cet exercice de synth`ese doit permettre
aux apprenants de faire le bilan de leurs nouvelles comp´etences d’analyse.
J’ai propos´e un exercice un peu similaire `a mes ´etudiants de Smith College en 2008-
2009. Comme il s’agissait d’apprenants de niveau 3, je leur ai demand´e, non pas de faire
la synth`ese d’un des motifs que nous avions ´etudi´es en classe, mais celle du d´esir, th`eme
qui englobe les six motifs. On trouvera en Annexe 2 quelques extraits de leurs copies,
dans lesquels j’ai indiqu´e en gras les mots de m´etalangage qu’ils ont employ´es. Dans
leur travail, les apprenants ont en effet cherch´e `a reproduire les analyses que nous avions
faites en classe, parfois aussi `a en proposer d’autres. Ils ont alors utilis´e quelques mots de
m´etalangage, comme interpr´eter, repr´esenter, ou encore symbole, qui sont l’indice de leur
maˆıtrise du texte de Marguerite Duras, mais aussi de la distance qu’ils ont pris vis-`a-vis
du langage. La langue du texte est bien devenue un laboratoire langagier, avec laquelle
ils ont pu faire leurs exp´eriences, chercher les r´eseaux de signification. Or cette r´eflexivit´e
est essentielle `a la progression dans la maˆıtrise d’une langue ´etrang`ere : c’est en prenant
conscience de son fonctionnement que l’on peut v´eritablement progresser.
Remarque g´en´erale
Si l’on fait le bilan de ce que les apprenants doivent avoir acquis au terme de cette
s´equence, trois points sont `a relever : la maˆıtrise des expressions du doute et de l’incertitude
(motif de l’invention), l’analyse culturelle du motif des fleurs et de celui du vin, la capacit´e
d’analyse de la langue fran¸caise.
2A Smith College, une ´etudiante m’a ainsi propos´e un d´eveloppement sur la couleur rouge dans le
texte. C’´etait toutefois une ´etudiante de niveau 3 qui avait une sensibilit´e litt´eraire ind´eniable. Il est ainsi
possible que des apprenants de niveau 2 n’osent pas choisir le second sujet propos´e, mais leur proposer
les invite toutefois `a parler de ce qu’ils ont aim´e dans le texte ou de ce `a quoi ils ont ´et´e sensibles.
S´equences p´edagogiques 45
S´equence 3 : Le Horla de Maupassant
Cette s´equence s’adresse `a un public de niveau 3 qui poss`ede d´ej`a une bonne connaissance
de base de la langue fran¸caise. Le texte du Horla est en effet beaucoup plus difficile
`a lire que des textes pr´esent´es dans les deux s´equences pr´ec´edentes, `a la fois sur le
plan linguistique et sur le plan du contenu, car le narrateur expose parfois des pens´ees
particuli`erement complexes pour qui ne connaˆıt pas l’engouement des hommes du XIXe
si`ecle pour l’invisible et ses myst`eres. Sur le plan stylistique, ce texte est en revanche
extrˆemement riche et donc extrˆemement int´eressant `a analyser. Car la folie du narrateur,
cet homme intelligent et cultiv´e, lui fait tenir deux types de discours, selon qu’il est en
proie `a la terreur ou non : le discours de l’´emotion et le discours du raisonnement logique.
Or ces deux types de discours sont nettement identifiables dans le texte, et leur
´etude doit permettre aux apprenants d’ˆetre sensibles aux diff´erentes mani`eres de s’exprimer
en fran¸cais. L’objectif de cette s´equence est donc que les apprenants aient un regard
critique sur l’emploi de la langue fran¸caise par l’auteur du Horla et sachent identifier
certains types de discours.
Nous ´etudierons ici la seconde version du texte du Horla de 1887, version la plus
compl`ete et la plus riche sur le plan stylistique. Ce texte peut ˆetre divis´e en cinq parties
d’une longueur `a peu pr`es ´equivalente (nous donnons les dates d’entr´ee du journal tenu
par le narrateur) : du 8 mai au 3 juin ; du 2 au 14 juillet ; du 16 juillet au 4 aoˆut ; du 6 au
18 aoˆut et du 19 aoˆut au 10 septembre. Cinq `a six heures de cours (`a raison de s´eances
d’une heure) doivent ˆetre consacr´ees `a cette s´equence.
Introduction au texte
Pour sensibiliser directement les apprenants au style du texte, l’enseignant donne en
introduction quelques informations sur la vie de Maupassant : un homme de la fin du
XIXe si`ecle, p´eriode o`u les hommes ´etaient fascin´es par l’invisible et le surnaturel, alors
que la f´ee ´electricit´e arrive dans les grandes villes et r´ealise le myst`ere de l’invisible r´eel ;
un homme attach´e `a la Normandie, territoire aux multiples l´egendes ; un homme qui a
lui-mˆeme souffert de troubles psychiatriques `a la fin de sa vie.
Lecture
Les apprenants doivent lire pour chaque s´eance de cours une portion du texte, et
un `a deux apprenants doivent pr´eparer une lecture orale d’un ou deux paragraphes que
l’enseignant aura choisi et qui feront l’objet d’une ´etude plus d´etaill´ee en classe. Cet
exercice de la lecture orale se r´ev`ele particuli`erement difficile pour les apprenants, parfois
timides faces aux autres apprenants, parfois mal `a l’aise face `a un texte qu’ils n’ont pas
tr`es bien compris. Pourtant, il se r´ev`ele aussi tr`es utile pour sensibiliser les apprenants aux
S´equences p´edagogiques 46
diff´erentes ´emotions mises en jeu dans le texte, et donc `a ses diff´erents styles. Il permet
aussi de contrevenir `a l’id´ee que la litt´erature rel`eve exclusivement du domaine de l’´ecrit,
d’un domaine donc ´eloign´e de celui de la communication orale ordinaire. Toutefois, pour
que cet exercice soit r´eellement profiteur, il peut ˆetre utile que l’enseignant se soumette
lui-mˆeme `a l’exercice la premi`ere fois, ne d´esigne au d´ebut que des apprenants volontaires,
et accompagne les apprenants dans leur lecture par le biais de fiches de vocabulaire ou de
notions indispensables pour bien comprendre le texte.
Cette lecture par un apprenant peut avoir lieu au tout d´ebut de la s´eance, comme
point de d´epart `a la v´erification de la bonne compr´ehension du passage, ou bien avoir lieu
apr`es cette phase de v´erification, pour ouvrir l’´etude stylistique `a proprement parler.
Phase d’exploitation stylistique
La phase d’exploitation stylistique doit prendre la forme d’ateliers. Les apprenants,
divis´es en plusieurs groupes, doivent ´etudier un `a plusieurs passages du texte, y analyser
le style et r´epondre `a des questions pos´ees par l’enseignant. Pendant que les apprenants
´etudient leur portion de texte, l’enseignant passe les voir et les aider dans leur analyse. Le
rapporteur de chaque groupe donne ensuite les r´esultats de l’analyse aux autres groupes,
ce qui donne lieu `a une comparaison entre les r´esultats obtenus par chaque groupe.
Nous proposons ci-dessous un sch´ema d’analyse pour les cinq portions du texte. Le
type de questions pos´e suit une complexit´e croissante.
Du 8 mai au 3 juin – Dans cette premi`ere s´eance, les apprenants sont divis´es en trois
groupes. Le premier groupe doit ´etudier l’entr´ee du 8 mai dans le journal et r´epondre aux
questions suivantes :
– Quel est le sentiment ´eprouv´e par le narrateur ? Relevez tous les mots qui ´evoquent
ce sentiment.
– Quels sont les ´el´ements du paysage d´ecrits par le narrateur ? Ces ´el´ements sont-ils
d´ecrits de mani`ere positive ou n´egative ? Relevez des exemples.
Le second groupe doit ´etudier les journ´ees du 12 au 18 mai, et r´epondre aux questions :
– Comment le narrateur se sent-il ? Relevez tous les mots qui indiquent son ´etat psychologique
ou physique.
– Quels sont les hypoth`eses du narrateur pour expliquer son ´etat ? Indiquez pr´ecis´ement
les passages.
Enfin, le troisi`eme groupe ´etudie les journ´ees du 25 mai et du 2 juin :
– Observez : la longueur des phrases, la ponctuation et les r´ep´etitions de mots. A quels
moments du r´ecit les phrases sont-elles tr`es courtes, interrompues et r´ep´etitives ?
Relevez des exemples.
– Relevez tous les mots qui ´evoquent la peur du narrateur.
S´equences p´edagogiques 47
Les r´esultats de l’analyse de ce troisi`eme groupe peuvent faire l’objet d’un commentaire
sp´ecifique de l’enseignant, voire d’exercices de m´emorisation. Il est en effet important que
tous les apprenants retiennent le vocabulaire li´e `a la peur et au mal-ˆetre, puisque ces mots
seront r´ecurrents tout au long du texte.
Du 2 au 14 juillet – Les apprenants sont `a nouveau divis´es en trois groupes. Le
premier groupe ´etudie la journ´ee du 2 juillet, consacr´ee au voyage du narrateur au Mont
Saint-Michel :
– Le description du Mont Saint-Michel est-elle r´ealiste (= d´ecrivant la r´ealit´e comme
elle est) ou fantastique (= faisant intervenir des ´el´ements surnaturels ou au moins
bizarres) ? Justifiez votre r´eponse en relevant des expressions du texte.
– Quelle est l’hypoth`ese du moine sur les choses invisibles ?
Le second groupe analyse les journ´ees du 5 au 10 juillet.
– Relevez des phrases, interrompues ou r´ep´etitives ? A quel moment du r´ecit apparaissent-
elles ?
– Relevez des exemples de reformulation (= passages o`u le narrateur redit presque la
mˆeme chose). Qu’est-ce que ces reformulations indiquent sur l’´etat du narrateur ?
– Quelle est l’hypoth`ese du narrateur sur son ´etat ?
Enfin, le troisi`eme groupe est charg´e d’analyser la journ´ee du 12 juillet.
– Comment le narrateur parle-t-il de ce qui lui est arriv´e ? Relevez des expressions qui
montrent qu’il a retrouv´e la raison.
– Pourquoi utilise-t-il « nous » et « notre » (« notre tˆete ») plusieurs fois ?
Les r´esultats de l’analyse doivent ici encore montrer l’opposition entre les journ´ees o`u le
narrateur semble fou et celles o`u il raisonne normalement. Or diff´erents moyens stylistiques
sont mis en oeuvre dans les deux cas, ce que les apprenants doivent `a pr´esent percevoir
plus nettement.
S’il reste du temps, la s´eance peut se terminer sur un d´ebat autour de la question « Le
narrateur est-il fou ? », que les apprenants pourront argumenter `a partir de l’´etude qu’ils
ont faite.
Du 16 juillet au 4 aoˆut – La majeure partie de cette section est occup´ee par une
anecdote dont le narrateur a ´et´e t´emoin et qu’il rapporte dans son journal. Le d´ebut de
cette s´eance sera consacr´e `a la mise en sc`ene de cette anecdote par les apprenants, ce qui
permet `a l’enseignant de s’assurer que les apprenants ont bien compris le d´eroulement
de l’´episode, et permet aux apprenants de mieux saisir le positionnement du narrateur
vis-`a-vis de ce qui arrive `a sa cousine. Par la suite, l’enseignant demande aux apprenants
par groupes de deux ou trois de r´efl´echir aux questions suivantes :
– Quels sont l’attitude et le rˆole du narrateur dans cet ´episode ?
S´equences p´edagogiques 48
– Pourquoi a-t-on l’impression qu’il s’agit d’une histoire vraie dont Maupassant aurait
pu ˆetre le t´emoin ? Essayez de relever des ´el´ements stylistiques caract´eristiques du
t´emoignage.
En effet, le narrateur se veut ici un fid`ele rapporteur de ce qu’il a vu, logique et fiable, et
c’est donc un nouveau style d’´ecriture que les apprenants pourront ici appr´ehender.
Du 6 au 18 aoˆut – Les apprenants sont `a nouveau divis´es en trois groupes. Le premier
groupe ´etudie les journ´ees du 6, 13 et 14 aoˆut et doit essayer de d´egager une stylistique
du discours de l’angoisse `a partir des ´el´ements stylistiques d´ej`a relev´es lors des autres
s´eances, et des nouveaux ´el´ements qui apparaissent dans ce passage, comme l’importance
des n´egations.
Le second groupe est charg´e de l’analyse de la journ´ee du 7 aoˆut et r´efl´echir aux
questions suivantes :
– Quelle est l’hypoth`ese que le narrateur fait sur son ´etat ?
– Quelles sont les marques dans le texte qui indiquent qu’il s’agit d’hypoth`eses ? Faites
attention aux temps des verbes et aux conjonctions.
Enfin, le troisi`eme groupe s’int´eresse `a la seconde partie des ´ev´enements rapport´es le 17
aoˆut3, et `a ceux du 18 aoˆut :
– Le narrateur est-il encore seulement angoiss´e ? Quel est le nouveau sentiment qui
naˆıt chez le narrateur ?
– Relevez tous les mots et formulations qui indiquent ce nouvel ´etat d’esprit chez le
narrateur.
Un discours de la violence, qui poss`ede quelques points communs avec le discours de
l’´emotion panique, s’impose `a la fin de ce passage, et les apprenants doivent ici ˆetre
sensibles au changement de tonalit´e qui intervient dans le texte.
Pour conclure cette s´eance, l’enseignant invite les apprenants `a d´ebattre autour de la
fin du texte. Quelle fin les passages qu’ils ont lus leur laissent-il envisager ? Ils pourront
argumenter `a partir des analyses qu’ils ont faites pendant la s´eance.
Du 19 aoˆut au 10 septembre – Lors de cette s´eance, les apprenants sont divis´es
en deux groupes (ou en quatre groupes si le nombre d’apprenants est trop important,
deux groupes travailleront alors sur le mˆeme sujet). Le premier groupe s’int´eressera au
personnage du Horla :
– Comment le narrateur sait-il que l’ˆetre myst´erieux qui le hante s’appelle le Horla ?
Comment peut-on interpr´eter le nom Horla (pensez au mot « dehors ») ?
– Pensez-vous que le Horla existe r´eellement ?
Le second groupe au personnage du narrateur :
3A partir de « Je m’assoupis en rˆevant ainsi au vent frais du soir.
S´equences p´edagogiques 49
– Relevez des mots et expressions qui montrent la violence du narrateur.
– Pensez-vous que le narrateur soit fou ?
Les deux questions pos´ees `a chaque groupe pourront donner lieu `a un d´ebat `a la fin de
la s´eance, pour savoir si le narrateur est fou et a invent´e le personnage du Horla, si le
narrateur est lucide et que le Horla le hante r´eellement ou encore si le Horla a rendu fou
le narrateur. Ce d´ebat pourra ˆetre l’occasion d’une petite introduction a posteriori `a la
litt´erature fantastique.
Conclusion de l’analyse
En conclusion de l’analyse de la nouvelle, l’enseignant demande aux apprenants d’´etablir
la liste des caract´eristiques stylistiques et s´emantiques du discours exprimant la peur, de
celui exprimant la violence, ainsi que du discours logique et rationnel. Cet exercice doit
permettre aux apprenants de rassembler les id´ees qu’ils ont acquises pendant les derni`eres
s´eances.
Exercice conclusif
A partir des listes ´etablies lors de la derni`ere s´eance de cours, les apprenants doivent
´ecrire un court texte `a la premi`ere personne exprimant la terreur ou la violence. Ce faisant,
ils doivent r´eemployer les caract´eristiques relev´ees dans Le Horla sur un autre texte,
donc les d´etacher de leur contexte d’origine et se les r´eapproprier. Les apprenants qui le
souhaiteront pourront lire leur texte `a voix haute `a l’ensemble du groupe.
Mes ´etudiantes de Smith College avaient particuli`erement appr´eci´e et bien r´eussi cet
exercice. On trouvera en annexe 3 quelques exemples de leurs productions ´ecrites. Certaines
ont repris le contexte du Horla pour situer leur r´ecit, d’autres se sont v´eritablement
r´eappropri´e le style de la peur et ont imagin´e un autre contexte, ´eventuellement tir´e de
leur propre exp´erience.
Remarque g´en´erale
Si l’on fait le bilan de ce que les apprenants doivent avoir acquis au terme de cette
s´equence, deux points sont `a relever : pouvoir identifier des discours dont les caract´eristiques
sont diff´erentes, pouvoir produire un texte exprimant la peur, la violence ou des id´ees logiques.
S´equences p´edagogiques 50
S´equence 4 : La Tour Eiffel
Cette derni`ere s´equence, plus longue, sera consacr´ee `a l’´etude de deux po`emes et d’un
essai, tous ayant pour th`eme la Tour Eiffel. Il s’agit de « Tour » de Blaise Cendras, « La
Tour Eiffel » de Guillaume Apollinaire, et La Tour Eiffel de Roland Barthes. Ce dernier
texte ´etant particuli`erement difficile, cette s´equence ne peut ˆetre mise en place qu’avec
des apprenants de niveau 3 en fin d’ann´ee. Environ cinq heures de cours devront lui ˆetre
d´evolues.
Cette s´equence porte sur un objet culturel, hautement symbolique en France. Mais ses
objectifs ne sont pas uniquement culturels. En effet, cette ´etude sur la Tour Eiffel doit
ˆetre l’occasion d’une r´eflexion sur la notion de m´etaphore et inviter les apprenants `a ˆetre
eux-mˆemes cr´eatifs tout en gardant un regard critique sur leur propre usage de la langue
fran¸caise, comme nous le verrons `a la fin de cette s´equence.
Activit´e pr´eliminaire
En pr´eliminaire `a l’´etude de la Tour Eiffel, nous proposons une activit´e qui doit permettre
aux apprenants de se familiariser avec l’id´ee de m´etaphore. Lors de la premi`ere
s´eance d´evolue `a cette s´equence, l’enseignant distribue aux apprenants le texte du po`eme
Allo de Benjamin Peret4. Le texte est lu collectivement, `a raison d’un vers par apprenant,
puis l’enseignant attire l’attention des apprenants sur le titre « Allo », en leur demandant
dans quelles circonstances ce mot est g´en´eralement prononc´e. Une fois que l’id´ee a ´et´e
´emise qu’il s’agit une communication, que le po`ete d’adresse `a quelqu’un, l’enseignant
dirige l’attention des apprenants vers le dernier vers du po`eme « Je t’aime », afin qu’ils
d´eterminent quelle est la personne `a laquelle s’adresse le po`ete.
L’enseignant laisse ensuite les apprenants par groupes de quatre identifier le contenu du
po`eme, et notamment les m´etaphores. C’est un po`eme particuli`erement obscur de ce point
de vue, et certaines m´etaphores sont assez difficiles `a interpr´eter. Les apprenants peuvent
toutefois ˆetre sensibles au fait qu’il y ait plusieurs parties du visage mentionn´ees dans
les premiers vers. Au bout de quelques minutes, l’enseignant demande aux apprenants ce
qu’ils ont compris ou identifi´e dans le po`eme : les iris noirs comme un ghetto, la chevelure
comme une ´ecume noire. Plusieurs de mes ´etudiantes de Smith College avaient aussi interpr
´et´e le chˆateau en flammes et l’avion inond´e du vin du Rhin comme des m´etaphores
de l’amour du po`ete, en r´ef´erence aux flammes de l’amour et `a l’ivresse que l’amour engendre.
Apr`es cette mise en commun, l’enseignant demande aux apprenants, toujours par
groupes de quatre, de continuer `a r´efl´echir sur le po`eme, en les invitant notamment `a
trouver d’autres parties du corps. L’enseignant oriente les apprenants vers l’id´ee que le
4On trouvera ce texte en Annexe 1.
S´equences p´edagogiques 51
po`eme est un blason du corps de la femme aim´ee. A la fin de la s´eance, les apprenants
proposent leur interpr´etation des diff´erents vers du po`eme.
Les m´etaphores de la Tour Eiffel
Lors de la s´eance suivante, l’enseignant demande aux apprenants de dessiner la Tour
Eiffel, et d’´ecrire `a cˆot´e de leur dessin les symboles ou images qu’ils associent `a la Tour Eiffel.
Il leur montre ensuite des photos de la tour, et les apprenants peuvent ´eventuellement
modifier les symboles ou images qu’ils lui avaient associ´es.
L’enseignant introduit ensuite une des images associ´ees `a la tour Eiffel par Guillaume
Apollinaire dans le second vers du po`eme « Zone » :
Berg`ere ˆo tour Eiffel le troupeau des ponts bˆele ce matin.
Les apprenants sont alors invit´es `a d´ecoder l’image suscit´ee par le po`eme en expliquant le
parall´elisme entre la relation de la berg`ere avec ses moutons d’un cˆot´e et celle de la Tour
Eiffel avec les ponts de Paris de l’autre.
L’enseignant conclut cette ´etude sur la force des images m´etaphoriques en r´e´ecrivant
le po`eme et en transformant les m´etaphores en comparaisons :
ˆO
tour Eiffel qui est comme une berg`ere,
les ponts sont comme un troupeau qui bˆele ce matin.
Les apprenants doivent alors ˆetre sensibles au fait que les m´etaphores affirment l’identit´e
de l’objet et de son image, `a la diff´erence des comparaisons qui n’indiquent qu’une similitude,
ce qui en diminue la port´ee.
L’enseignant introduit alors un autre po`eme, Tour de Blaise Cendras5, lu en classe `a
raison d’un vers par apprenant. Par groupes de trois, les apprenants doivent alors relever
dans le po`eme toutes les m´etaphores de la Tour Eiffel et essayer de trouver l’id´ee commune
qui les relie : l’universalit´e. Car les m´etaphores de Blaise Cendras reposent autant sur une
analogie formelle que sur la symbolique d’une Tour universelle, dans le temps comme dans
l’espace. Il est probable toutefois que certaines images ´echapperont aux apprenants, et il
pourra alors ˆetre utile de montrer la ressemblance entre la forme de la Tour Eiffel et la
forme d’un objet ou animal qu’ils auraient du mal `a associer avec elle. Mes ´etudiantes
de Smith College avaient ainsi eu du mal `a identifier le crocodile et le gibet comme des
images de la Tour Eiffel.
L’´etude stylistique des m´etaphores dans les po`emes de Guillaume Apollinaire et de
5On pourra lire le po`eme de Blaise Cendras en Annexe 1. Le po`eme a ´et´e tronqu´e de ses 24 premiers
vers, plus difficiles `a lire et `a comprendre pour des apprenants ´etrangers, et surtout moins centr´es sur les
images de la Tour Eiffel elle-mˆeme.
S´equences p´edagogiques 52
Blaise Cendras, mettant l’accent sur l’id´ee que la m´etaphore est une image, peut conduire
`a une forme de stylistique comparative. Lors de la s´eance suivante, l’enseignant introduit
alors d’autres m´etaphores de la Tour Eiffel, sous une forme picturale, avec les tableaux de
Robert Delaunay : Tour Eiffel (1909), Tour Eiffel (1910), Champ-de-Mars (1911-1923)
et La ville de Paris, la femme et la Tour ; ainsi qu’un tableau de Marc Chagall, La Tour
Eiffel (1934). Dans ces tableaux, la Tour Eiffel est tantˆot associ´ee `a la nature, `a l’industrie,
`a l’urbanisation, ou encore `a la ville de Paris elle-mˆeme, et `a une femme. Les
apprenants sont invit´es `a commenter la place, la forme et la couleur de la Tour Eiffel dans
ces tableaux, et `a identifier les images ou les symboles auxquels elle est associ´ee.
Analyse th´eorique de ces m´etaphores
Les trois s´eances suivantes sont consacr´ees `a la lecture et `a l’analyse d’un extrait
de l’essai intitul´e La Tour Eiffel, dans laquelle Roland Barthes d´eveloppe et analyse les
images auxquelles ont ´et´e associ´ees la Tour Eiffel. Cet extrait occupe les pages 1396 `a
1400 de l’´edition des Oeuvres compl`etes, volume 2 : 1962-1967, publi´e au Seuil.
L’enseignant pose aux apprenants les questions suivantes :
– D’apr`es Roland Barthes, comment la Tour Eiffel est-elle devenue le symbole de
Paris ? Faites la liste de tous les faits ou ´ev´enements qui ont permis de faire de la
Tour Eiffel un symbole.
– En quoi la Tour Eiffel est-elle un « objet po´etique » ?
– Quelles sont toutes les images que l’on peut voir dans la Tour Eiffel : faites une liste
de tous les objets ou ˆetre vivants qui sont associ´es `a la Tour Eiffel. Expliquez les
liens qui sont d´evelopp´es par Barthes entre la Tour Eiffel et ces ´el´ements.
– De quels po`emes et tableaux que nous avons ´etudi´es en classe pouvez-vous rapprocher
ces images ?
Ce texte de Roland Barthes est particuli`erement int´eressant, parce qu’il offre aux apprenants
un regard critique sur leur propre analyse des m´etaphores de la Tour Eiffel. Il leur
permet d’enrichir leur analyse tout en leur pr´esentant une autre mani`ere de parler de la
Tour Eiffel. Car Roland Barthes d´eveloppe ici le style de l’essai (mˆeme si cet essai tend
fortement vers la litt´erature), avec ses enchaˆınements logiques et son vocabulaire critiques.
Lors de cette ´etude, l’enseignant pourra ainsi faire comprendre aux apprenants la tr`es
forte rigueur logique qui soutient le texte de Roland Barthes. Mes ´etudiantes de Smith
College avaient eu beaucoup de difficult´e `a comprendre les enchaˆınements entre les paragraphes6.
Ce texte pourra donc ˆetre prolong´e, `a la suite de cette s´equence, par une autre
s´equence sur l’argumentation.
6Les transitions sont en effet beaucoup moins marqu´ees dans la litt´erature anglo-saxonne que dans la
litt´erature fran¸caise.
S´equences p´edagogiques 53
Une derni`ere m´etaphore
Lors de la derni`ere s´eance, l’enseignant pr´esente aux apprenants un dernier po`eme
m´etaphorique sur la Tour Eiffel, qui associe la dimension linguistique et la dimension
picturale de la m´etaphore : le calligramme « La Tour Eiffel » de Guillaume Apollinaire.
L’enseignant attire l’attention des apprenants sur plusieurs ph´enom`enes :
– le fait que le po`eme soit ´ecrit `a la premi`ere personne : qui est « je » ?
– la polys´emie du mot langue ;
– le fait que les Allemands soient mentionn´es, en r´ef´erence `a l’occupation de Paris
pendant la seconde guerre mondiale.
Puis il laisse les apprenants discuter par groupes de trois ou quatre de l’interpr´etation
que l’on peut faire du po`eme, avant qu’ils n’en r´edigent individuellement un commentaire.
Il est important, au terme de cette s´equence, que cet exercice soit fait `a l’´ecrit et non `a
l’oral. Il s’agit en effet d’obliger les apprenants `a organiser leurs id´ees avec logique, en
s’inspirant des analyses de Roland Barthes. Or, lorsque les apprenants discutent `a l’oral,
ils ´echangent des id´ees plus qu’ils ne construisent un raisonnement.
Exercice conclusif
Pour conclure cette s´equence, l’enseignant demande aux apprenants d’´ecrire leur propre
calligramme sur le th`eme de la Tour Eiffel, et d’en r´ediger un commentaire, dans lequel ils
expliquent l’image qu’ils ont voulu d´evelopper et les mots ou expressions qu’ils ont choisi
en cons´equence. De cette fa¸con, les apprenants doivent travailler sur la langue fran¸caise,
afin de d´evelopper une image de la Tour Eiffel qui leur semble int´eressante avec les mots
les plus justes possibles.
J’ai propos´e ce travail `a mes ´etudiants de Smith College (2008-2009) et il a donn´e lieu
`a des po`emes et commentaires qui r´ev`elent leur r´eflexion sur le th`eme de la tour Eiffel.
On trouvera deux de ces travaux en annexe 4. La premi`ere ´etudiante reprend l’id´ee du
paradoxe ´elabor´e par Roland Barthes dans la premi`ere partie de son essai ; la seconde
s’int´eresse au ph´enom`ene du tourisme. Dans leur commentaire, elles expliquent `a la fois
pourquoi elles ont choisi telle ou telle id´ee et comment elles ont cherch´e `a l’exprimer. Il
manque toutefois dans leurs commentaires certaines remarques sur la forme discursive
qu’elles ont choisie.
Remarque g´en´erale
Au terme de cette s´equence, les apprenants doivent ˆetre capables de reconnaˆıtre et
d’analyser une m´etaphore avec un vocabulaire juste et appropri´e. Or les m´etaphores ne se
trouvent pas qu’en po´esie, mais elles sont omnipr´esentes dans la vie quotidienne, dans la
publicit´e par exemple. Il s’agit donc de les rendre attentifs au fonctionnement du langage,
et au jeu avec les mots que les Fran¸cais affectionnent.
S´equences p´edagogiques 54
Cette s´equence doit ´egalement les initier `a prendre du recul sur le choix des mots
ou des expressions dans les textes de langue fran¸caise, et sur leur propre choix de mots
lorsqu’ils ´ecrivent en fran¸cais. Pour bien ´ecrire en fran¸cais, il ne s’agit pas en effet de
choisir le premier mot qui vienne `a l’esprit, mais le mot qui semble le plus juste dans
le contexte sp´ecifique du texte `a ´ecrire. Ce type de recul est indispensable `a qui veut
pouvoir d´evelopper sa comp´etence de communication en fran¸cais, car la langue repose sur
un certains nombres de codes, que le locuteur applique mieux lorsqu’il en est conscient.
Conclusion
La litt´erature fait aujourd’hui pˆale figure au sein de l’enseignement du FLE. Les manuels
la repoussent en fin de chapitre o`u ils accordent parfois une petite page `a un extrait
de texte, et les enseignants ne savent pas toujours tr`es bien comment la concilier avec
la m´ethodologie actionnelle. Pourtant, et c’est ce que ce m´emoire a voulu montrer, la
litt´erature a beaucoup `a apporter aux apprenants : une comp´etence interculturelle, car
la litt´erature a trait avec la soci´et´e dans laquelle elle s’ins`ere ; une comp´etence linguistique,
car « le langage est l’ˆetre de la litt´erature » ; une comp´etence scientifique, car la
litt´erature se commente et s’analyse ; et surtout, une comp´etence de communication, car
la litt´erature est avant tout un discours. Le texte litt´eraire parle de quelque chose `a quelqu’un,
son lecteur, mˆeme si cette communication prend des allures d´etourn´ees. Mettre
cette comp´etence de communication au coeur de l’´etude du texte litt´eraire doit alors permettre
de relier enseignement/apprentissage de la langue et enseignement/apprentissage
de la litt´erature. Car le discours, en tant que parole travaill´ee sur le monde, est ce qui
fonde la litt´erarit´e du texte, en mˆeme temps qu’il est source d’apprentissage pour les
apprenants. En observant et ´etudiant ce discours, les apprenants s’initient au fonctionnement
de la langue fran¸caise, d´ecouvrent les diff´erentes formes qu’elle peut prendre, font
l’exp´erience des diff´erentes mani`eres dont elle peut signifier.
Cette ´etude, c’est la stylistique qui la permet. La stylistique s’int´eresse au « style »
du texte, donc `a la mani`ere dont un message a ´et´e formul´e et aux cons´equences de cette
formulation sur la signification de ce message lui-mˆeme. Ce travail sur le style doit faire
prendre conscience aux apprenants que la langue peut s’incarner dans diff´erents mod`eles
discursifs, qu’il s’agisse de genres (lettre d’amour, r´ecit d’une anecdote...) ou de types
(discours exprimant le d´esir, la volont´e...). Or ces mod`eles ne sont pas n´ecessairement
identiques `a ceux qu’ils connaissent dans leur langue. On sait en effet que chaque langue
poss`ede des mod`eles qui lui sont propres, et qu’on ne dit pas la mˆeme chose de la mˆeme
mani`ere en fran¸cais ou en anglais. Or la litt´erature, aux sujets infiniment vari´es, propose
une multiplicit´e de mod`eles dont les apprenants peuvent tirer parti. C’est ce que nous
avons voulu montrer dans les s´equences p´edagogiques propos´ees en troisi`eme partie de ce
m´emoire : le texte litt´eraire y est tantˆot un mod`ele pour penser la diff´erence entre langage
propre et langage figur´e, tantˆot le mod`ele d’un type de discours sp´ecifique (expression
55
Conclusion 56
de l’incertitude, de la peur...), tantˆot un mod`ele contrast´e des diff´erentes mani`eres de
parler d’un mˆeme sujet. Ainsi l’´etude du texte litt´eraire doit permettre aux apprenants
d’am´eliorer leur maˆıtrise de la langue fran¸caise `a la fois par l’acquisition de ces mod`eles,
et par le recul sur la langue que l’analyse elle-mˆeme doit favoriser. Il doit aussi leur
permettre d’am´eliorer leur comp´etence de communication par la r´eappropriation et la
reproduction de ces discours. La didactique de la stylistique entretient ainsi des relations
avec la m´ethodologie de type actionnel, puisque l’analyse ne se clˆot pas sur elle-mˆeme,
mais doit permettre aux apprenants d’´elaborer de nouveaux discours.
Il serait possible de prolonger cette ´etude en appliquant la stylistique `a d’autres types
de texte, comme la publicit´e, les articles de presse, les lettres ou les petites annonces, qui
pr´esente d’autres types d’emploi, sp´ecifiques, de la langue fran¸caise. La stylistique que
nous d´efendons ici n’a donc pas vocation `a former des sp´ecialistes de litt´erature fran¸caise,
mais des sp´ecialistes de langue fran¸caise, et nous sommes intimement persuad´ee que la
maˆıtrise de la langue passe par la maˆıtrise des discours.
Annexes
Table des annexes
Annexe 1 : Po`emes ´etudi´es dans les s´equences p´edagogiques (Jacques PREVERT,
« Page d’´ecriture » ; Benjamin PERET, « Allo » ; Blaise CENDRAS, « Tour »)
– p.58
Annexe 2 : Extraits de dissertations sur le th`eme “Le d´esir dans Moderato Cantabile”
r´edig´ees par des apprenants de FLE de niveau 3 en 2008-2009 `a Smith College
(Etats-Unis).
– p.62
Annexe 3 : Pastiches du style de la peur et de la folie du Horla de Maupassant r´edig´ees
par des apprenants de FLE de niveau 3 en 2008-2009 `a Smith College (Etats-Unis).
– p.64
Annexe 4 : Travaux r´ealis´es par des apprenants de FLE de niveau 3 en 2008-2009 `a
Smith College (Etats-Unis) sur le th`eme de la tour Eiffel.
– p.67
57
Annexe 1 58
Annexe 1 : Po`emes ´etudi´es
Jacques PREVERT, « Page d’´ecriture »
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize...
R´ep´etez ! dit le maˆıtre
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize.
Mais voil`a l’oiseau-lyre qui passe dans le ciel
l’enfant le voit
l’enfant l’entend
l’enfant l’appelle :
Sauve-moi joue avec moi oiseau !
Alors l’oiseau descend
et joue avec l’enfant
Deux et deux quatre...
R´ep´etez ! dit le maˆıtre
et l’enfant joue
l’oiseau joue avec lui...
Quatre et quatre huit
huit et huit font seize
et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ?
Ils ne font rien seize et seize
et surtout pas trente-deux de toute fa¸con
et ils s’en vont.
Et l’enfant a cach´e l’oiseau dans son pupitre
et tous les enfants entendent sa chanson
et tous les enfants entendent la musique
et huit et huit `a leur tour s’en vont
et quatre et quatre
et deux et deux
`a leur tour fichent le camp
et un et un ne font ni une ni deux
un `a un s’en vont ´egalement.
Et l’oiseau-lyre joue
et l’enfant chante
et le professeur crie :
Quand vous aurez fini de faire le pitre !
Mais tous les autres enfants ´ecoutent la musique
et les murs de la classe s’´ecroulent tranquillement
Et les vitres redeviennent sable
l’encre redevient eau
les pupitres redeviennent arbres
Annexe 1 59
la craie redevient falaise
le porte-plume redevient oiseau.
Benjamin PERET, « Allo »
Mon avion en flammes mon chˆateau inond´e de vin du Rhin
mon ghetto d’iris noirs mon oreille de cristal
mon rocher d´evalant la falaise pour ´ecraser le garde-champˆetre
mon escargot d’opale mon moustique d’air
mon ´edredon de paradisiers ma chevelure d’´ecume noire
mon tombeau ´eclat´e ma pluie de sauterelles rouges
mon ˆıle volante mon raisin de turquoise
ma collision d’autos folles et prudentes ma plate-bande sauvage
mon pistil de pissenlit projet´e dans mon oeil
mon oignon de tulipe dans le cerveau
ma gazelle ´egar´ee dans un cin´ema des boulevards
ma cassette de soleil mon fruit de volcan
mon rire d’´etang cach´e o`u vont se noyer les proph`etes distraits
mon inondation de cassis mon papillon de morille
ma cascade bleue comme une lame de fond qui fait le printemps
mon revolver de corail dont la bouche m’attire comme l’oeil d’un puits
scintillant
glac´e comme le miroir o`u tu contemples la fuite des oiseaux mouches de ton regard
perdu dans une exposition de blanc encadr´ee de momies
je t’aime
(Je sublime, 1936)
Annexe 1 60
Blaise CENDRAS, « Tour »
...
O Tour Eiffel
Feu d’artifice g´eant de l’Exposition Universelle !
Sur le Gange
A B´enar`es
Parmi les toupies onanistes des temples hindous
Et les cris color´es des multitudes de l’Orient
Tu te penches, gracieux Palmier !
C’est toi qui `a l’´epoque l´egendaire du peuple h´ebreu
Confondis la langue des hommes
O Babel !
Et quelque mille ans plus tard, c’est toi qui retombais en langues de feu sur les Apˆotres ressembl
´es dans ton ´eglise
En pleine mer tu es un mˆat
Et au Pˆole-Nord
Tu resplendis avec toute la magnificence de l’aurore bor´eale de ta t´el´egraphie sans fil
Les lianes s’enchevˆetrent aux eucalyptus
Et tu flottes, vieux tronc, sur le Mississipi
Quand
Ta gueule s’ouvre
Et un ca¨ıman saisit la cuisse d’un n`egre
En Europe tu es comme un gibet
(Je voudrais ˆetre la tour, pendre `a la Tour Eiffel !)
Et quand le soleil se couche derri`ere toi
La tˆete de Bonnot roule sous la guillotine
Au coeur de l’Afrique c’est toi qui cours
Girafe
Autruche
Boa
Equateur
Moussons
En Australie tu as toujours ´et´e tabou
Tu es la gaffe que le capitaine Cook employait pour diriger son bateau d’aventuriers
O sonde c´eleste !
Pour la Simultan´e Delaunay, `a qui je d´edie ce po`eme,
Tu es le pinceau qu’il trempe dans la lumi`ere
Gong tam-tam zanzibar bˆete de la jungle rayons-x express bistouri symphonie
Tu es tout
Tour
Dieu antique
Bˆete moderne
Spectre solaire
Sujet de mon po`eme
Tour
Tour du monde
Tour en mouvement
Annexe 1 61
Guillaume APOLLINAIRE, « La Tour Eiffel »
Annexe 2 62
Annexe 2
Extraits de dissertations sur le th`eme “Le d´esir dans Moderato Cantabile” r´edig´ees par des
apprenants de FLE de niveau 3 en 2008-2009 `a Smith College (Etats-Unis). Les extraits ont
´et´e anonym´es et num´erot´es, et nous y avons indiqu´e en gras les expressions utilis´ees par les
apprenants lors de leur analyse. Les fautes n’ont pas ´et´e corrig´ees.
Extrait 1 :
Pour illustrer comment le d´esir est une force motivant, Duras utilise des symboles
: le vin que Mme Desbaresdes boit repr´esente un d´esir pour la connaissance et la libert
´e et aussi pour une vie passionn´ee. Le vin, et Chauvin, sont les solutions superficielles aux
probl`emes, et les deux rend Anne enivrante. Quand Anne vomit, c’est un r´esultat physique de la
gloutonnerie, ou trop de l’indulgence du d´esir. Le magnolia symbolise la maturation du d´esir,
qui est hors de port´ee au del`a de la fenˆetre d’Anne. L’odeur accablant est gˆenant et enivrant
pour Anne et les invit´es `a la soir´ee et trop tabou pour la d´elicatesse bourgeoise. Le vin et le
magnolia symbolisent le d´esir comme quelque chose qui est enivrante et supprim´ee. Une autre
technique que Duras emploie est le mot « voudrait », beaucoup utilis´e par Anne : le
mot repr´esente son d´esir pour les choses dans le conditionnel, ou ce que ce n’est pas atteint.
IY-FRN230-1-F8-E4
Extrait 2 :
Les proc´ed´es stylistiques que Duras a utilis´es permettent d’exprimer les d´esirs des
personnages. Les symboles ont une place importante en particuli`ere. Le magnolia repr´esente
la sexualit´e d’Anne qu’elle d´esire de laisser dehors, mais qu’elle supprime quand elle tombe
amoureuse. Au d´ebut du texte, Chauvin et Anne a discut´e son jardin. Elle a ferme ses fenˆetres `a
cause de leur parfum fort. Les magnolias repr´esentent sa sexualit´e qui elle refoule. Mais quand
elle tombait amour avec Chauvin, elle montrer sa sexualit´e libre – elle a mis un magnolia entre
ses seins pour le dˆıner. Chauvin peut sentir l’odeur de cette fleur pendant il marche dans la ville,
et le narrateur ´ecrit, « Les formes vides des magnolias caressent les yeux de l’homme seul » (109).
Pendant le dˆıner, la fleur se fane, et quand Chauvin est parti, la fleur se fane compl`etement.
Elle a reconnu qu’elle ne peut pas ˆetre avec Chauvin, et leur histoire d’amour doit finir.
La faim est aussi un symbole pour le d´esir entre Anne et Chauvin. Il y avait deux types de
faim, la faim des sentiments et la faim physique. Anne a faim pour une autre vie, et pour Chauvin
– la faim repr´esente ses d´esirs. Quand elle a ´et´e `a la dˆıner, la narrateur dit, « Sa bouche
est dess´ech´ee par d’autre faim que rien non plus ne peut apaiser » (107). Elle a refus´e manger
parce que « la nourriture » qu’elle veut est l’amour de Chauvin. Chauvin d´esire Anne aussi, et
le narrateur dit, « Il ne pourrait pas, lui non plus, nourrir son corps tourment´e par une autre
faim » (104).
MS-FRN230-1-S9-E4
Annexe 2 63
Extrait 3 :
Leur d´esir est aussi sexuel. Ce n’est pas clair si ce d´esir est pour chaque autre ou s’ils veulent
se sentir juste aim´e. La fleur de magnolia repr´esente la sensualit´e et une force irr´esistible pour
Anne. Son d´esir de se sentir aim´e et ˆetre remarqu´e est ind´eniable, comme le magnolia. L’ext´erieur
de la maison d’Anne est un grand arbre de magnolia. Le magnolia comme son d´esir est public. La
pr´esence du magnolia est in´evitable et ´ecrasante. Anne dit `a Chauvin qu’elle doit se fermer les
fenˆetres au deuxi`eme ´etage pour ´echapper l’odeur du magnolia. Bien qu’elle prenne la pr´ecaution
contre l’odeur elle n’est pas le r´esister. A la diner chez Anne, elle a porte une fleur de magnolia
entre son sein. Auparavant, Chauvin a d´ecrit une fois quand Anne s’´etait pench´ee par-dessus
un piano. Elle habitait une robe trop grande avec un magnolia entre ses seins et quand il se
pr´esente `a Anne, il dit qu’une fois elle a eu un magnolia entre ses seins. L’endroit de magnolia
est sensuel et audacieuse d’Anne. Il montre qu’Anne veut ´echapper la r´epression de la soci´et´e
et son marie alors elle caresse avec son d´esir de la r´ebellion. Son d´esir est si fort qu’elle c`ede au
d´esir dans la forme de froisser la fleur en public.
JW-FRN230-1-F8-E4
Extrait 4 :
Anne est toujours seule (son mari anonyme ne s’interesse pas `a elle sauf pour se pr´esenter `a
une soir´ee), Chauvin ne fait rien de son temps, et l’enfant d´eteste ses le¸cons avec une dame qui
parle toujours de l’´education mais jamais de la beaut´e ou passion de la musique. Par cons´equent,
les expressions du d´esir d’Anne et des relations entre elle et Chauvin sont violentes en r´eaction
`a cette monotonie. Par exemple, le vin qu’ils boivent ensemble repr´esente un d´esir de perdre
le contrˆole, surtout pour Anne qui rentre chez-elle tr`es ivre. Les mains d’Anne tremblent terriblement
jusqu’au moment o`u elle a assez bu. Les images que Duras utilise sont ´egalement
violentes : la cri de la femme tu´ee, la sir`ene, les descriptions des invit´es qui mangent tant de la
nourriture et Anne elle-mˆeme qui vomit tous ce qu’elle a consomm´e.
AA-FRN230-1-S9-E4
Extrait 5 :
Une autre forme de la mort d’Anne est la cons´equence du d´esir d’amour d’Anne et d’Chauvin.
Effectivement, Chauvin tue Anne. « Je voudrais que vous soyez morte, dit Chauvin. – C’est
fait, dit Anne Desbaresdes. » (p.123). On peut interpr´eter cette forme de la mort d’Anne
comme une mort sa sexualit´e. Il y a deux raisons. Premi`erement, dans la r´eception `a sa maison
elle craque le magnolia qui est entre ses seins. Deuxi`eme, le baiser avec Chauvin est froid, tremblant
et mortuaire. Cela indique qu’Anne ne re¸coit pas le plaisir quand elle r´ealise son d´esir.
Mais cela implique qu’elle n’a plus ce d´esir. C’est la mort du d´esir.
DJ-FRN230-1-F8-E4
Annexe 3 64
Annexe 3
Pastiches du style de la peur et de la folie du Horla de Maupassant r´edig´ees par des apprenants
de FLE de niveau 3 en 2008-2009 `a Smith College (Etats-Unis). Les consignes ´etaient les
suivantes :
« R´edigez un court texte (de 10 `a 20 lignes) `a la premi`ere personne (utilisez le “je”) dans
lequel vous exprimez un trouble (folie, peur, ´emotion forte. . .). R´eutilisez les diff´erents
outils stylistiques relev´es dans le texte de Maupassant :
– phrases courtes ou interrompues : . . .
– vocabulaire r´ep´etitif
– nombreuses exclamations : !
– nombreuses interrogations : ?
– reformulations : « ou plutˆot », « un rˆeve non un cauchemar »
– simplicit´e syntaxique
– r´egime de l’allusion (ce qui cause le trouble n’est jamais explicitement d´ecrit, mais il
est nomm´e “il” ou “on”) »
Les extraits ont ´et´e anonym´es et num´erot´es. Les fautes n’ont pas ´et´e corrig´ees.
Extrait 1 :
SEPTEMBRE 18 :
Je ne sais pas si je peux continuer `a vivre. Je ne sais si je peux. . .si je le peux, ou plutˆot si
je le veux. Il m’a abandonn´e ! Je suis abandonn´e ! Je n’ai rien, rien de lui, rien de nous, rien
de moi. Je n’ai pas de raisons de vivre. Je suis vide comme une maison o`u personne ne dort,
une maison avec des couloirs b´eants qui sont remplis des rires des heureux jours du pass´e. Mais
maintenant. . .maintenant c’est le temps de la tristesse, de l’angoisse, des larmes. Je ne peux. . .je
ne peux plus pleurer, plus larmoyer. Je ne peux le comprendre. Pourquoi m’a-t-il banni ? Quelle
injure, quelle malchance lui ai-je donn´e ? Il ne me parle plus. Il ne me parle plus, ne me voit
plus, ne me touche plus. Je ne le peux. . .ne le peux. . .ne le peux et ne le veux pas ! Non ! Je ne
le veux pas ! Continuer ? Quelle raison peut-on me donner ? Il n’existe pas de raison ! Il est la
raison, et il est parti. J’ai perdu ma raison.
SOH-FRN230-1-F8-T1
Extrait 2 :
C’est sombre ici ; c’est sombre, c’est sombre et elles sont ici. Je peux sentir le souffle sur mon
cou, je ne peux pas les voir mais. . .je sais, je sens. Je me suis couch´ee `a 8 heures et elles se sont
couch´ees avec moi, toutes les deux, les spectres. . . mes os ! Mes os mes os mes os la moelle de
mes os elle est pleine de peur, c’est frigide, elle grelotte et il n’y a pas de place pour me cacher
qu’est-ce que c’est ¸ca ? Qu’est-ce que c’est, cette folie ? C’est fini. Ce n’est pas fini ce n’est pas
fini j’ai menti je mens je mentirai toujours. Je tremble. Suis lourde. Les spectres sont tordus
dans ma colonne vert´ebrale, elles p`esent sur mon ossature. Ces pens´ees ! Cette culpabilit´e ! Je
vois le sang. Partout le sang partout partout . . . il n’y avait rien du sang mais . . . je le vois . . .
je le verrai toujours.
AA-FRN230-1-F8-T1
Annexe 3 65
Extrait 3 :
16 SEPTEMBRE
Mon ´etat s’est aggrav´e. Je ne peux pas dormir ! Je ne peux pas manger ! Je ne peux pas me laver !
Depuis quelques jours je vois une bizarre paire d’yeux qui observent chacun de mes mouvements.
Je commen¸cais `a lire plus comme une m´ethode pour enlever mes pens´ees fastidieuses. Mais, aujourd’
hui quand j’ai essay´e de lire quelque po`emes de mon livre, au lieu de faire disparaˆıtre les
yeux, chaque mot que j’ai lu les a intensifi´es. Ils me trouvent encore !
Je ne comprends pas ce qui se passe ? A qui appartiennent ces yeux et pourquoi ai-je peur ?
Pourquoi me regardent-ils ? Est ce-que je suis fou ? C’est une hallucination ou ils existent ?
Peut-ˆetre que j’ai mang´e quelque chose que m’a rendu malade ? Mon estomac me fait mal. Mais
peut-ˆetre que je me sens mal parce que je n’ai rien mang´e ? Il faut que je trouve une m´ethode
pour me d´ebarrasser vite de ces yeux. Je me sens faible et mon corps a commenc´e `a trembler.
Ils poss`edent mes pens´ees et je ne peux pas continuer `a vivre de cette fa¸con pour longtemps.
Quelqu’un vient... J’entends des pas... Je dois me cacher ! ?
CB-FRN230-1-F8-T1
Extrait 4 :
J’´etais bien ´eveill´ee `a trois heures du matin. J’´ecrivais un expos´e et je buvais du caf´e pour
ˆetre alerte. J’ai vu les arbres comme s’ils ´etaient tordus par le vent qui hurlait au dehors. J’avais
tr`es sommeil donc je suis all´ee en bas pour trouver plus de caf´e. Pendant que je marchais le
long du couloir, les lumi`eres clignotaient. Je me suis arrˆet´ee. Les lumi`eres s’arrˆetent. J’ai march´e
en avant. Les lumi`eres clignotaient encore. Je pensais que c’´etait bizarre. Les ´etincelles augment`
erent. . .. . . Soudain ! J’ai entendu quelque chose claquer tr`es fort ! J’avais peur. Et puis,
“ngngngngngngngng”. Quel bruit bizarre ! Qu’est ce qui fait ce bruit ? C’´etait comme quelqu’un
qui rˆale. . . et il est tr`es pr`es. . .. D’o`u vient ce bruit ? Qui fait ce bruit ´etrange ? Je demande
“allˆo ?”. Pas de r´eponse. “Allˆo ! ?”. Encore rien. “ngngngngngngngngngng !”. Le bruit fort augmentait.
. .. Plus fort. . . plus fort.. Pr`es et plus pr`es.. “ R´ev´elez-vous !” j’ai demand´e ! Non, J’ai
cri´e. J’avais si peur ! J’´etais toute seule dans le couloir. . .. Les lumi`eres clignotaient encore ! Le
vent hurle encore ! J’ai oubli´e le caf´e et j’ai tourn´e et couru en haut ! Mais. . . Je ne pouvais pas
savoir o`u j’allais. Les lumi`eres clignotaient tellement que je n’ai su pas o`u j’´etais ! O`u est-ce que
je courais ? Je ne m’arrˆetais pas. Puis j’ai chut´e ! De plus en plus.. La bruit augmentait encore.
Il ´etait si pr`es ! Je suis entr´ee en collision avec le mur. Fort ! Je saignais. Je ne pourrais pas
me lever. Quel est mon sort ? Soudain je l’ai vu ! Une ombre fatidique. . ... avance vers moi. . .
Pr`es et plus pr`es. . . J’ai ferm´e mes yeux. La douleur ! La douleur ´etait trop. Je ne pouvais pas
m’´echapper. Je pensais `a ma famille. Je ne les reverrai plus ? Ma soeur ? Mes amies ? Quel est
mon sort ? Est-ce que ma vie va se terminer bientˆot ? Et je l’ai vu ! Il ´etait si grand ! Il portait
une robe noire et tr`es longue. Je ne pouvais pas voir son visage. . . Il avait un grand capuchon
qui couvrait sa tˆete. . .. J’ai vu sa main. . . ses doigts sont jaunes et noueux. J’´etais si terrifi´ee. Il
m’a touch´ee ! Son contact ´etait si froid ! J’ai frissonn´e. Et puis. . ...rien ! J’ai ´et´e ruin´ee. . ..
TDS-FRN230-1-F8-T1
Annexe 3 66
Extrait 5 :
Je ne peux pas le voir. Mais je sais qu’il ´etait l`a. Est-ce que je pense au cauchemar ? Je me
souviens que je cours loin de lui. Mais, je ne suis pas fatigu´ee maintenant. Non ! Mon Coeur ! Il
bat plus vite ! Zut ! Je suis tomb´ee. Qu’est-ce qui se pass´e ? Il court vite ! Plus vite ! Plus vite !
Mon dos ! Il est sur mon dos !
Tout `a coup, je me r´eveille. Mes yeux ne peuvent pas le voir. Mais, je le sens derri`erre moi.
“Arrˆete !” j’ai dit. “Arrˆete !”
GC-FRN230-1-F8-T1
Annexe 4 67
Annexe 4
Travaux r´ealis´es par des apprenants de FLE de niveau 3 en 2008-2009 `a Smith College (Etats-
Unis) sur le th`eme de la tour Eiffel. Les apprenants devaient ´ecrire un po`eme sur le mod`ele du
calligramme « La Tour Eiffel » de Guillaume Apollinaire et en proposer un commentaire. Les
extraits ont ´et´e anonym´es et num´erot´es. Les fautes n’ont pas ´et´e corrig´ees.
Extrait 1 :
Ce calligramme concerne le paradoxe de la Tour Eiffel, une id´ee `a laquelle Barthes s’int´eresse.
Il s’agit en particulier l’opposition entre les aspects de la construction de la Tour, les r´eactions
`a la Tour, et les id´ees de la Tour comme un symbole de Paris.
Les deux premi`eres questions du po`eme concernent la construction de la Tour. Il y a de
l’opposition dans la forme de la Tour puisque les petits segments se croisent, orient´es plus horizontalement
que la Tour en entier, qui s’´elance vers le ciel (Barthes, 9). Une autre opposition
est celle entre le poids de la mati`ere de fer et l’apparence de la l´eg`eret´e de la Tour. On pr´esume
que les choses en fer ont l’apparence d’ˆetre lourdes, mais au contraire, la Tour semble tr`es l´eg`ere
grˆace `a ses trous (Barthes, 16).
Les questions suivantes, « Regarder ? D´eplorer ? », dans le po`eme montre l’attitude positif
et l’attitude n´egatif envers la Tour. Il semble que Barthes accepte et peut-ˆetre aime la Tour ; il
parle de la fonction de la Tour comme un site touristique (14). On regard de la Tour (4) et on
regard la Tour elle-mˆeme, comme objet (8) et comme symbole (14). Il pense que la Tour m´erite
l’´etude. Cependant, il y avait beaucoup des personnes, sp´ecialement au d´ebut de la Tour, qui ne
l’aimaient pas, comme les artistes qui ont sign´e la lettre contre la Tour. C’est vrai que la Tour
d´epasse tous les autres bˆatiments, ainsi cr´eant peut-ˆetre d´esaccord de l’apparence de la ville.
Annexe 4 68
L’opposition derni`ere discut´ee ici concerne la Tour comme un symbole de Paris ; cette opposition
est montr´ee par le phrase « Pour le monde ou pour Paris ? ». Barthes dit « la Tour est
devenue Paris par m´etonymie » (14). Mais il semble que les touristes, pas les parisiennes, sont
les visiteurs r´eguliers de la Tour. Il y a une distance entre la Tour et les vies quotidiennes des
parisiennes. Puisque les habitants sont une partie tr`es importante d’une ville, est-ce qu’il est
possible que la Tour peut servir comme un symbole tellement important de Paris quand il y a
cette distance ?
La phrase finale du calligramme, « `A la fin je suis ce que je suis », dit que la Tour n’est
pas quelque chose qui a besoin d’une solution pour son nature paradoxal. Elle a des aspects
contradictoires, mais ¸ca c’est pourquoi la Tour a tant de formes et interpr´etations. Ces aspects
rendent la Tour formidable.
AA-FRN230-2-S9-D5
Extrait 2 :
Mon po`eme utilise La Tour Eiffel comme un symbole de tourisme. Quand je suis all´ee `a
Paris, je voyageais avec beaucoup de personnes. Toutes les personnes disaient qu’ils voudraient
voir La Tour Eiffel. Mais, ils ne voulaient pas voir les autres choses, par exemples les mus´ees,
et les jardins. Le th`eme de mon po`eme est que La Tour Eiffel est un endroit sans importance.
La Tour Eiffel symbolise le tourisme a Paris, et les touristes qui ne pensent pas que les autres
choses, par exemple les ´eglises et les mus´ees, sont importants.
Je crois que La Tour Eiffel est un monument important, mais je pense que les personnes qui
habitent dans un autre pays ne veulent pas voir les choses qui ne sont pas La Tour Eiffel. La Tour
Eiffel est un monument consid´erable, mais ce n’est pas le seul monument `a Paris. Le Louvre a
beaucoup d’art important, et l’Arc de Triomphe est beau aussi. Mais les touristes pensent que
la Tour est la raison pour voyager `a Paris.
J’utilise un ton sarcastique dans mon po`eme. J’essaie ˆetre drˆole dans mon po`eme parce que
les personnes croient que La Tour Eiffel est tr`es s´erieuse et important. Mais, c’est un monument
qui est vide. C’est un symbole pour les fran¸cais, mais ce n’est pas un symbole pour les Etats-
Unis, et les autres pays.
HE-230-2-S9-D5
Bibliographie
Albert M-C. & Souchon M. (2000). Les Textes litt´eraires en classe de langue, Paris :
Hachette, coll. « Autoformation ».
Barthes R. (1971). R´elexions sur un manuel, L’Enseignement de la litt´erature, Centre
culturel de Cerisy (22-29 juillet 1969), Paris : Plon.
Barthes R.. (1984). De la science `a la litt´erature, Le bruissement de la langue. Essais
critiques IV, Paris : Seuil, p.13-20.
Barthes R.. (1984). Ecrire, verbe intransitif ?, Le bruissement de la langue. Essais critiques
IV, Paris : Seuil, p.21-31.
Bertrand D. & Ploquin F. (1991). Litt´erature : esth´etique et p´edagogie. Le Fran¸cais
dans le monde, n°242, 43-47.
Besse H. (1988). Sur une pragmatique de la lecture litt´eraire, ou “de la lecture qui est
la communication au sein de la solitude”. Le Fran¸cais dans le monde, recherches et
applications, 53-62.
Byram M., Gribkova B. & Starkey H. (2002). D´evelopper la dimension interculturelle
dans l’enseignement des langues : une introduction pratique `a l’usage des enseignants,
Strasbourg : Conseil de l’Europe, Division des Politiques linguistiques.
Cicurel F. (1991). Lectures interactives en langues ´etrang`eres, Paris : Hachette, coll.
« Autoformation ».
Conseil de l’Europe (2000). Cadre Europ´een Commun de R´ef´erence pour les Langues.
Apprendre. Enseigner. Evaluer., Paris : Didier. Texte disponible sur internet `a l’adresse
suivante : http ://www.coe.int/T/DG4/Portfolio/documents/cadrecommun.pdf
Coste D. (1982). Apprendre la langue par la litt´erature ?, Litt´erature et classe de langue,
Paris : Hatier, coll. « LAL ».
Dubrovsky S. & Todorov T. (dir.) (1971). L’Enseignement de la litt´erature, Centre
culturel de Cerisy (22-29 juillet 1969), Paris : Plon.
Eco U. (1985). Lector in fabula. Le rˆole du lecteur, Paris : Le Livre de Poche.
Gracq J. (1980). En lisant, en ´ecrivant, Paris : Corti.
Jauss H.R. (1978). Pour une esth´etique de la r´eception, Paris : Gallimard.
69
Bibliographie 70
Kramsch C. & Kramsch O. (2000). The Avatars of Literature in language Study. The
Modern Language Journal, n°84, 553-573.
Mitterand H. (1977). L’Enseignement sup´erieur et le renouvellement des m´ethodes de
lecture dans le Second Degr´e. L’enseignement de la litt´erature. Crise et perspectives.,
Actes du colloque organis´e par la Facult´e des Lettres de Strasbourg (11-13 d´ecembre
1975). Paris : Nathan.
Milner J. O. & Milner L. F. (2007). Bridging English (second edition), Prentice Hall.
Naturel M. (1995). Pour la litt´erature. De l’extrait `a l’oeuvre, Paris : Cl´e International,
coll. « Didactique des langues ´etrang`eres ».
Nelson R.J. (1959). The Role of Literature in Foreign Language Learning. The French
Review, vol.32, n°5, 456-460.
Papo E. & Bourgain D. (1989). Litt´erature et communication en classe de langue. Une
initiation `a l’analyse du discours litt´eraire, Paris : Hatier/Didier, coll. « LAL ».
Paran A. (2000). Survey review : Recent books on the teaching of literature. ELT Journal,
n°54/1, 75-88.
Paran A. (2008). The role of literature in instructed foreing language learning and
teaching : An evidence-based survey. Language Teaching, n°41, 465-496.
Peytard J. (dir.) (1982). Litt´erature et classe de langue, Paris : Hatier, coll. « LAL ».
Peytard J. (1988). Des usages de la litt´erature en classe de langue. Le Fran¸cais dans le
monde, recherches et applications, 8-17.
Peytard J. (pr´ef.) (1989). Litt´erature et communication en classe de langue. Une initiation
`a l’analyse du discours litt´eraire, Paris : Hatier/Didier, coll. « LAL ».
Poletti M-L (1988). La mise en sc`ene du texte ou comment entrer en lecture. Le Fran¸cais
dans le monde, recherches et applications, 110-116.
Sartre J-P. (1948). Qu’est-ce que la litt´erature ?, Paris : Gallimard.
S´eoud A. (1997). Pour une didactique de la litt´erature, Paris : Hatier/Didier, coll.
« LAL ».
Shattuck R. (1958). The Role of Literature in Foreign Language Instruction. The French
Review, vol.31, n°5, 420-426.
Uhoda B. (2003). Le recours au texte litt´eraire est une pratique classique de la classe
de fran¸cais. S’interroger sur les raisons d’ˆetre de l’analyse du texte litt´eraire et sur les
mani`eres de proc´eder permet de red´ecouvrir la richesse de cet exercice. Le Fran¸cais
dans le monde, n°325. Texte disponible sur le site internet du Fran¸cais dans le monde :
http ://www.fdlm.org/fle/article/325/uhoda.php ?



19/07/2011
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 8 autres membres